Amnesty International a été fondé en 1961 sur fond de campagne visant à libérer les prisonniers d’opinion dans le monde. Les appels contre la peine de mort on rapidement fait partie de ses activités : si les prisonniers d’opinion devaient être libérés, ils ne devaient à l’évidence pas être exécutés. De fil en aiguille, en 1974, Amnesty International décida solennellement de s’opposer aux condamnations à mort dans toutes les affaires judiciaires. En 1977, la déclaration de Stockholm affirma l’engagement d’Amnesty International à « … œuvrer à l’abolition universelle de la peine de mort ».
Sur le plan organisationnel, Amnesty International possédait les moyens de ses ambitions, avec des sections nationales militantes et un noyau central supervisant les recherches et les actions menées. Ceci dit, à cette époque, les actions n’avaient jusque-là concerné que des affaires individuelles. En envisageant une campagne mondiale en faveur de l’abolition, nous nous sommes rendu compte qu’il nous fallait montrer que la peine de mort constituait une violation des droits humains reconnus internationalement et qu’elle ne relevait pas uniquement des politiques pénales nationales. Il était nécessaire que nous donnions à nos membres militants le sentiment que leurs efforts s’inscrivaient dans une dynamique mondiale. Nous devions fournir une idée précise de l’état de la peine de mort dans le monde et célébrer toutes les évolutions positives.
En se préparant à faire campagne, Amnesty International a compilé les études internationales sur les lois et les pratiques sur la peine de mort. En nous appuyant sur ce travail et en utilisant les catégories développées par les Nations unies (ONU), nous avons dressé une liste des pays abolitionnistes et non abolitionnistes. La première liste publiée en 1979 montrait que 20 pays avaient aboli la peine de mort pour tous les crimes (tous les pays d’Europe de l’ouest ou d’Amérique latine à une exception près) alors que 12 pays avaient aboli la peine de mort uniquement pour les crimes de droit commun et que 117 pays et territoires avaient maintenu la peine de mort pour les crimes de droit commun comme les meurtres. Deux pays, l’Australie et les États-Unis, avaient des positions différentes en fonction des juridictions concernées. Au même moment, nous avons commencé à rassembler des informations sur les peines capitales et les exécutions à l’échelle mondiale et à publier des statistiques annuelles.
Mise à jour régulièrement et republiée lorsque nécessaire, la liste des pays abolitionnistes et non abolitionnistes posait les fondements conceptuels du mouvement abolitionniste. Cette liste permettait aux militants locaux d’inscrire leur action dans un cadre mondial et les succès remportés à l’échelle nationale pouvaient ainsi être célébrés comme une avancée de portée internationale.
Pendant la première grande campagne d’Amnesty International contre la peine de mort, nous avons demandé à nos sections nationales et à leurs membres de collecter des signatures dans le plus grand nombre possible de pays pour lancer, devant l’ONU, un appel en faveur d’une abolition à l’échelle mondiale. Cet appel fut présenté au Secrétaire général de l’ONU en 1980 avec des signatures venant de plus de 100 pays, comprenant des chefs de gouvernement et des lauréats du prix Nobel. Il fut ainsi démontré que le soutien en faveur de l’abolition ne se limitait pas à un petit nombre de pays occidentaux.
Au cours des années qui suivirent, la peine de mort fut abolie dans un certain nombre de pays, notamment en France (1981) où sept prisonniers étaient alors condamnés à mort. Amnesty International avait fait campagne aux côtés de nombreux autres acteurs en faveur de l’abolition.
Suite à une suggestion du conseiller juridique d’Amnesty International au cours de la Conférence de Stockholm, le Conseil de l’Europe adopta en 1983 le protocole n° 6 à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme, une forme de traité par lequel les États européens s’engagent en vertu du droit international des droits humains à abolir la peine de mort en temps de paix et à ne pas la réintroduire. Ce même type de protocole était en cours de préparation à l’ONU afin d’aboutir à une abolition totale et déboucha sur l’adoption, en 1989, du deuxième protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politique. Un autre protocole semblable, concernant l’Amérique du Nord et du Sud, fut adopté en 1990, et un autre pour l’Afrique est aujourd’hui en cours d’élaboration. Avec ces traités, les États consolident l’abolition dans leur pays et affirment que la peine capitale est un problème relevant des droits humains.
Pour sa seconde grande campagne contre la peine de mort, en 1989, Amnesty International a assemblé une nouvelle étude mondiale avec des données sur tous les pays de la planète. Cette étude a mis en lumière de nouveaux pays abolitionnistes. Au lancement de sa campagne, Amnesty International était ainsi en mesure d’affirmer que 35 pays avaient aboli la peine de mort pour tous les crimes, y compris certains pays d’Afrique, d’Asie et du Pacifique, que 18 pays avaient aboli la peine capitale pour les crimes de droit commun, et que 27 pays et territoires pouvaient être considérés comme étant abolitionniste en pratique car n’ayant procédé à aucune exécution depuis 10 ans ou plus. Ces trois catégories regroupaient 80 pays contre 100 pays ayant maintenu la peine de mort. Les chiffres étaient beaucoup plus encourageants que ceux de la liste de 1979. Ce type d’information montrait de manière très concrète que la tendance globale était en faveur de l’abolition, ce qui confortait les militants dans leur mission.
Avec les bouleversements géopolitiques en cours pendant les années 1990, le rythme de l’abolition s’accélérait. En 2000, nous avons pu proclamer qu’en moyenne plus de trois pays par an avaient aboli la peine capitale au cours de la décennie qui venait de s’écouler. En 2015 le chiffre majeur de 100 pays totalement abolitionnistes était atteint.
En 1997, une résolution pour un moratoire sur les exécutions fut adoptée à la Commission des droits de l’homme de l’ONU avec 27 votes pour et 11 contre. La résolution fut réintroduite chaque année avec un contenu toujours plus fort et un nombre croissant de votes favorables jusqu’en 2007 et après, où elle fut introduite devant l’Assemblée générale de l’ONU.
Il y avait alors quatre listes : la liste d’Amnesty International des pays abolitionnistes et non abolitionnistes ainsi que les listes des coparrainants des résolutions de l’ONU, de l’historique des votes des pays sur les résolutions, et des États ayant ratifié le deuxième protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Ces listes pouvaient être utilisées dans les actions de lobbying visant à persuader les États abolitionnistes de soutenir les résolutions de l’ONU, et à convaincre les États qui ne l’avaient pas encore fait de ratifier le protocole. La dernière résolution de l’ONU, appelant à un moratoire sur les exécutions, fut adoptée en 2018 avec 121 votes favorables.
De nouvelles organisations non gouvernementales sont apparues, notamment la Coalition mondiale contre la peine de mort rassemblant les forces abolitionnistes du monde entier ; Ensemble contre la Peine de Mort qui organise périodiquement le Congrès mondial contre la peine de mort (se tenant du 27 février au 1er mars 2019 à Bruxelles) et la Commission internationale contre la peine de mort qui envoie des délégations de haut niveau plaider en faveur de l’abolition.
La dernière liste des pays abolitionnistes et non abolitionnistes d’Amnesty International cite 106 pays abolitionnistes pour tous les crimes, 8 pays abolitionnistes pour les crimes de droit commun uniquement, 28 pays abolitionnistes en pratique et 56 pays non abolitionnistes. Le nombre de pays totalement abolitionnistes a plus que quintuplé depuis 1979.
Le dernier rapport d’Amnesty International sur les condamnations à mort et les exécutions dans le monde indique 993 exécutions dans 23 pays en 2017 (plus un nombre inconnu se chiffrant en milliers en Chine) et 2591 condamnations à mort dans 53 pays. La lutte est loin d’être terminée.