Pendant de nombreuses années, les observateurs du développement international et de la santé publique étaient imperméables au fait religieux. Cependant, la dernière décennie a été marquée par un renouveau significatifde l’intérêt pour les prestataires confessionnels de santé traditionnellement appelés hôpitaux et dispensaires de mission.
Les missionnaires ont fondé de nombreux systèmes de santé modernes en Afrique et à l’indépendance, les prestataires confessionnels de santé étaient souvent responsables de la plupart des services médicaux modernes.
Pourtant il existe encore des différences importantes entre les pays africains. L’Afrique du sud a par exemple nationalisé la plupart de ses prestataires confessionnels de santé alors que d’autres, comme le Mali, n’ont qu’un petit nombre de prestataires de ce type. D’autres encore connaissent un développement nouveau du nombre de prestataires de santé de confession musulmane. Dans plus d’une douzaine de pays comprenant la République démocratique du Congo, la Sierra Leone, le Zimbabwe, le Malawi, le Rwanda, l'Ouganda, la Tanzanie, la Zambie, le Lesotho, le Bénin, le Ghana, le Kenya, le Nigéria et le Cameroun, les prestataires confessionnels sont parfois estimés représenter plus de 30% du secteur de la santé.
Nuns take care of disabled, and abandoned children in Nairobi, Kenya. Marek Hanyzewski/Demotix. All rights reserved.
Dans ces pays, les prestataires confessionnels sont regroupés dans le secteur privé à but non lucratif et s’intègrent souvent au système de santé publique en passant des accords avec le gouvernement pour assurer la prestation de services spécifiques.
Pourtant les prestataires confessionnels sont souvent plus «publics» que «privés», à la fois sur le plan pratique et éthique. Ils comblent souvent les lacunes laissées par les autres ou sont nommés comme hôpitaux régionaux auxquels sont subordonnés les autres intervenants privés ou publics. L’exemple le plus frappant est celui de la RDC où une coalition d’églises et de prestataires confessionnels dirige et fait fonctionner plus de la moitié du système national de santé.
Alors que les organisations confessionnelles à but non lucratif sont bien placées pour s’occuper de la plus grande variété possible de problèmes liés à la santé et aux droits de l’homme, allant de la nutrition et de l’immunisation à la mortalité infantile. Les preuves anecdotiques de leur valeur ajoutée sont nombreuses mais la recherche systématique fait défaut. Le débat sur leur utilité est d’ailleurs entravé par le fait que les observateurs tendent à trop se focaliser sur le VIH/SIDA ou sur la santé sexuelle et reproductive.
Un domaine grand ouvert
Une augmentation récente du nombre de nouvelles recherches est venue nuancer le débat et mettre en évidence un certain nombre de points potentiellement significatifs et à prendre en considération. Par exemple, les prestataires confessionnels offrent-ils une meilleure qualité de soins et une plus grande souplesse financière pour les pauvres en milieu rural? Ou offrent-ils éventuellement des soins avec plus de compassion que les autres, en traitant les patients de façon plus holistique et en passant plus de temps avec eux?
Les défenseurs des droits de l’homme voient généralement l’accès aux soins et la qualité des soins comme un moyen de défendre la dignité humaine. Les prestataires confessionnels respectent-ils davantage la dignité de leurs patients que leurs homologues laïcs?
Nous ne le savons pas vraiment alors que les éléments concrets commencent juste à voir le jour. Par exemple, nous ne savons pas si une plus grande compassion dans les soins prodigués reflète une caractéristique innée du personnel des organisations confessionnelles ou si elle dépend de la direction de l’hôpital et du style de management.
D’autres domaines présentant un intérêt potentiel incluent :
- Les pratiques discriminatoires: contrairement à certaines perceptions, la plupart des prestataires confessionnels en Afrique sont connus comme offrant des services de soins à tous ceux qui passent leur porte et font rarement du prosélytisme ou de la discrimination sur une base religieuse.
- Responsabilité et participation communautaire: la plupart des prestataires confessionnels en Afrique sont «la propriété» d’églises locales, ce qui suggère un lien direct de responsabilité avec les communautés qu’elles servent, ainsi que des opportunités uniques pour la participation de la communauté.
- Les droits de ceux qui travaillent dans le domaine de la santé: les prestataires confessionnels peuvent «prendre le relais» quand des grèves paralysent les services publics. Au Ghana, par exemple, un pays où les grèves sont nombreuses dans le secteur de la santé publique, les observateurs rapportent que le personnel des prestataires confessionnels de santé ne fait pas grève. Au final, ceci peut suggérer qu’il évolue dans un cadre différent en matière de droit du travail que le personnel du secteur public.
La question sensible
Qu’en est-il des droits sexuels et reproductifs?
Les critiques du monde entier attaquent les organisations confessionnelles, en particulier les catholiques, pour leur bilan médiocre dans ces domaines. Il y a eu de nombreux écrits au sujet des catholiques, de la santé et des droits de l’homme en relation avec la santé sexuelle et reproductive, et le ton est souvent amer et accusatoire.
La réalité est cependant plus complexe sur le terrain, comme le démontre un récent projet de recherche de CORDAID sur les prestataires de santé de confession catholique au Cameroun, au Ghana et au Malawi.
Pour illustrer, j’ai rassemblé un certain nombre d’exemples de cette recherche en une «étude de cas» fictive. J’ai retiré les noms des pays et des individus pour protéger la vie privée des participants.
La complexité du terrain
Dans un pays africain dont le nom n’est pas cité, dans un grand hôpital catholique que nous appellerons «Sainte Marie», le personnel prend quotidiennement, et à tous les niveaux hiérarchiques, des décisions complexes en matière de droits de l’homme.
Toutes les cliniques d’un niveau hiérarchique inférieur dépendent de ce grand hôpital régional, qui à son tour rend compte de ses activités au Ministère de la Santé ainsi qu’à l’évêque du diocèse. Alors que l’église catholique peut elle-même être hiérarchisée, c’est en fait un système très décentralisé avec chaque établissement fonctionnant individuellement. Le dirigeant de Sainte Marie a une grande autonomie mais il cherche à garder la culture de l’hôpital en accord avec la mission catholique. L’hôpital a une maternité, des programmes de sensibilisation du public, des unités pour le HIV/SIDA et la tuberculose ainsi que d’autres services.
Bien que la politique gouvernementale interdise l’avortement, les établissements publics de santé font la promotion des méthodes contraceptives naturelles et artificielles. Sainte Marie, en dépit de sa qualité d’hôpital régional, interdit cependant la promotion de la contraception artificielle ou de la stérilisation. En cas de nécessité médicale, les patients peuvent généralement y avoir accès au cas par cas et après une discussion entre l’aumônier et le docteur du patient.
En réalité, le personnel soignant de Sainte Marie distribue cependant des préservatifs aux patients en le cachant à leurs supérieurs. Bien que la «contraception naturelle» entre dans la doctrine de l’église, personne n’en fait activement la promotion au sein de l’hôpital. De plus, le gouvernement a nommé un employé à l’hôpital afin de gérer les soins pédiatriques tels que l’immunisation, mais cet employé mène aussi des actions de sensibilisation du public incluant la promotion et la distribution de contraceptifs artificiels. Les évêques et le personnel dirigeant de Sainte Marie ont approuvé ces activités tant que personne ne fait la promotion et la distribution de contraceptifs artificiels dans l’enceinte de l’hôpital.
Pour ajouter à la complexité, divers donateurs extérieurs ont exprimé leur intérêt pour collaborer avec Sainte Marie pendant que tous maintiennent leur propre ligne de conduite souvent contradictoire. Par exemple, un partenaire de longue date, une agence internationale (catholique) de développement, fait la promotion d’une politique de «prise de décision informée». Ceci suggère que tous les patients devraient recevoir toute l’information et les coordonnées d’autres structures quand Sainte Marie ne peut pas fournir le service, ce qui s’applique à l’évidence aux questions de santé sexuelle et reproductive.
De telles contradictions ont amené les évêques à s’engager plus fortement au niveau national et à réexaminer leur position sur la politique à suivre en matière de santé sexuelle et reproductive. La conférence des évêques catholiques de ce pays est, par exemple, en train de débattre des questions théologiques entourant la distribution de préservatifs aux couples sérodiscordants (lorsqu’une personne est atteinte du sida tandis que l’autre ne l’est pas).
Il est temps d’élargir la perspective
Cette «étude de cas» consolidée montre que le cadre opérationnel des prestataires confessionnels est complexe et qu’il fait l’objet d’influences multiples, incluant les systèmes décentralisés et le personnel qui «suit sa conscience», quelle qu’elle puisse être.
Les questions relatives aux droits de l’homme sont assez compliquées et ébranlent tous les arguments simplistes concernant les catholiques, les droits et les préservatifs. Les opposants à la position de l’église sur la contraception avancent qu’il s’agit d’une violation des droits de l’individu à la santé; à la santé maternelle, infantile et reproductive; à participer à la prise de décision et accéder à l’information en matière de santé.
Il est difficile d’argumenter sur le fait que les prestataires de santé de confession catholique offrent en Afrique un accès plus restreint à la santé sexuelle et reproductive que les autres prestataires de santé, ou que les droits de leurs patients sont particulièrement mis à mal. En réalité, nous trouvons un mélange complexe d’activités visibles et cachées et une négociation entre de multiples influences en matière de politique, la théologie catholique n’étant qu’une influence parmi les autres.
Nous devons rejeter les affirmations simplistes sur la religion, l’accès aux soins et les droits de l’homme, et aller plutôt vers une compréhension plus nuancée des prestataires de soins confessionnels.