Combler les lacunes : pourquoi les camps de prière au Ghana sont parfois la seule option

Human Rights Watch a récemment durement critiqué les camps de prière au Ghana, en disant qu’ils abusaient des personnes vulnérables souffrant de maladies mentales. L’organisation basée à New York est en désaccord avec mes arguments, et ceux d’autres personnes, qui font remarquer que les camps de prière, aussi imparfaits soient-ils, sont souvent le seul refuge disponible. En procédant ainsi, Human Rights Watch passe à côté du problème principal. Quand le système de santé publique est en situation de grande précarité, les camps de prière fournissent les services vitaux qui ne sont pas disponibles ailleurs.

Comme il est souvent le cas dans le travail international sur les droits de l’homme, les militants de Human Rights Watch sont basés dans les pays riches et évaluent les conditions dans les pays pauvres selon des critères inappropriés, ignorant les réalités socio-économiques et les valeurs locales. Malheureusement, ce type de compte-rendu dénué de toute sensibilité sape la pérennité et l’efficacité de tous les efforts en faveur des droits de l’homme, tant au niveau local qu’international.

Considérez les abus en lien avec la sorcellerie au Ghana. En dépits d’efforts de longue date d’interdire la stigmatisation des personnes accusées de sorcellerie, le gouvernement n’a que récemment proposé de fermer les camps prévus pour ces dernières dans la partie nord du pays, et a ratifié une législation progressiste. Cependant, ces camps ont servi de sanctuaire pour un nombre incalculable de femmes accusées de sorcellerie, qui auraient sinon été persécutées ou tuées.

Toute proposition visant à s’attaquer au problème de la sorcellerie, y compris la fermeture des camps et la réintégration des sorcières présumées dans la société, ne peut pas réussir sans campagnes éducatives pour s’attaquer aux croyances publiques sous-jacentes. Le contrôle, l’évaluation et l’application juridique sont également des points vitaux. Dans le passé, les missionnaires chrétiens condamnaient la sorcellerie comme étant de la « superstition » et imposaient des sanctions aux croyants, provoquant un départ massif de personnes en recherche d’un sanctuaire au sein des African Instituted Churches (églises africaines instituées) et des refuges anti-sorcellerie (p.ex., Abrewa).

Son compte-rendu est fondé sur une orientation laïque qui ne respecte pas le pouvoir de la religion, et il s’appuie sur des normes et des opportunités sociales qui ne sont pas disponibles dans ce pays. 

Bien que Human Rights Watch ne soit pas un groupe missionnaire chrétien, sa condamnation des camps de prière du pays souffre d’un mépris similaire des croyances et des valeurs locales. Son compte-rendu est fondé sur une orientation laïque qui ne respecte pas le pouvoir de la religion, et il s’appuie sur des normes et des opportunités sociales qui ne sont pas disponibles dans ce pays.

Human Rights Watch invite ses lecteurs à imaginer les horribles conditions rencontrées par les patients psychiatriques, réels ou perçus comme tels, dans les camps de prière, mais ne prête aucune attention à ce qui leur arriverait si les camps n’existaient pas. Au Ghana, le malade mental souffre souvent de stigmatisation, d’exclusion, d’absence d’abri et de violences collectives, car la plus grande partie du public voit les maladies psychiatriques comme une conséquence de malédictions et de démons.

Considérez ceci : les trois hôpitaux psychiatriques au Ghana sont situés dans le sud du pays, laissant une lacune au niveau des traitements d’au moins 97% du pays. Le budget de l’État pour les soins des maladies mentales est dramatiquement inadéquat, et une enquête de 2009 a fait part d’abus inimaginables et routiniers dans l’un des plus important hôpital psychiatrique du pays.

La loi du Ghana sur la santé mentale (loi 846) fut adoptée il y a de cela seulement deux ans, promettant de s’attaquer à la dimension liée aux droits de l’homme dans le domaine des soins de santé mentale. Bien que l’État semble avoir la volonté d’essayer de fournir des soins complets de santé mentale, la réalité est décourageante. Le Ghana a 25 millions de personnes, dont 2,2 millions souffrent de divers problèmes de santé mentale. Des attitudes culturelles solidement ancrées ainsi qu’un État aux capacités limitées signifient que les progrès vont être lents.

La religion a une longue et vénérable tradition d’assistance aux populations pauvres et vulnérables au Ghana. Les idées, institutions et personnalités religieuses ont depuis longtemps aidé les gens à vivre dans la dignité et la sécurité. Quand les circonstances sont difficiles, l’accès à l’assistance et à un espace religieux, y compris les camps de prière condamnés par Human Rights Watch, sont vitaux, car ils utilisent une symbolique et un langage local qui résonne auprès du public.


Josephkay/Demotix (All rights reserved) 

Quand le système de santé publique est en situation de grande précarité, les camps de prière fournissent les services vitaux qui ne sont pas disponibles ailleurs.

 


 

Les autorités coloniales interdirent les abus touchant les sorcières dans les années 1950 et 1960, mais les premières églises africaines instituées, dont les prophètes associaient les idées traditionnelles avec les pratiques chrétiennes, disaient qu’elles pouvaient exorciser les sorcières via des rituels de purification spécifiques. Ceci se révéla utile, à cause de la croyance publique selon laquelle les « anciennes sorcières » pouvaient en fait être purifiées, aidant ainsi leur réintégration sociale.

En outre, le public est plus susceptible de faire confiance aux autorités religieuses que séculaires, en grande partie parce que les institutions religieuses ont une présence continue dans les communautés ordinaires. Comme l'a écrit une autorité, les organisations religieuses ont une base d’adhérent qui est la plus grande, la plus large et la mieux enracinée socialement de toutes les organisations de la société civile ghanéenne.

Alors que les projets de développement bien intentionnés se terminent et que les ONG se retirent, ce sont les groupes et individus locaux souvent inspirés par des convictions religieuses qui comblent les lacunes, généralement sans financement de donateurs étrangers. Les « méthodes crues et rudimentaires » des camps de prière et les « infrastructures limitées » que Human Rights Watch condamne si amèrement, ne sont pas des indicateurs automatiques de cruauté. Elles sont au contraire souvent le reflet d’une réalité amère et d’un manque de ressources.

Un projet de recherche en cours à l’université du Ghana, mené par une équipe de psychologues cliniciens, dit que les camps de prière et leur pratique consistant à enchaîner les patients agressifs sont le résultat d’un manque d’infrastructures et de médicaments appropriés. Enchaîner les patients est une stratégie de survie rudimentaire utilisée par les autorités en charge des camps en situation de dénuement. Ce n’est pas la meilleure stratégie, mais elle est le reflet d’une réalité difficile.

Le projet de l’université du Ghana a proposé l’utilisation de traitements médicamenteux et de méthodes modernes de psychologie dans les camps de prière, et leurs recommandations ont amené des améliorations significatives au camp de prière Mount Horeb, comme vérifié par mes propres visites et par les observations mesurées du Dr. Angela Ofori-Atta, le chef du projet. Comme l’observe le Dr. Ofori-Atta : « Les abus que nous voyons [avec] l’enchaînement ont principalement à voir avec le manque d’infrastructures correctes et de médicaments. » Si ces essais continuent de réussir, ils pourraient avoir de profonds effets sur le système de santé mentale au Ghana. Bien sûr, trouver suffisamment de ressources financières pour intensifier ces projets d’amélioration continuera à être un défi de premier ordre.

Quand l’État ne peut pas garantir les droits fondamentaux, nous devons prendre en considération toutes les ressources, l’expertise et les options disponibles, y compris les camps de prière à caractère religieux. Ce type de collaboration entre la religion et les droits de l’homme est impératif pour la plupart des sociétés africaines.

De nombreux exploitants de centre de prière sont ouverts au changement, et disposés à collaborer. Au centre de prière de Patmos, par exemple, les exploitants travaillent avec le personnel médical à l’hôpital de région, et suivent les directives définies par l’église presbytérienne. À Mount Horeb ainsi qu’à Patmos, les exploitants fournissent aux patients de longue durée une assistance pour sécuriser une assurance santé qui est généralement à la charge du centre.

À terme, je vois les camps de prière comme assumant le rôle de  « foyers de transition », une halte pour les patients aidés par les personnes qui comprennent leur situation et leurs besoins avant d’être rendus à leur communauté.

La critique sévère des camps de prière au Ghana par Human Rights Watch montre ce qui arrive quand les conditions africaines sont appréhendées via le prisme des pays privilégiés du Nord. Généralement les recommandations politiques sur la base de ce type d’appréciations échouent.

Dans des sociétés qui sont à la fois pauvres et profondément religieuses, les personnes travaillant dans le domaine des droits de l’homme ne peuvent pas se permettre de se priver, et de priver les personnes qu’elles cherchent à aider, des ressources religieuses qui sont à disposition.