Les organisations qui œuvrent en faveur de la démarginalisation par le droit aident les gens à se servir eux-mêmes du droit afin de résoudre leurs principaux problèmes de justice. Ces problèmes ne font pas nécessairement les gros titres, par exemple, l’obtention d’une carte d’identité ou de conseils sur ses droits lors d’un divorce. Dans de nombreux pays, les services d’aide aux populations les plus défavorisées, pour les problèmes juridiques de ce type, sont généralement fournis par les ONG et souvent financés par les bailleurs de fonds internationaux ainsi que par les interventions ponctuelles et à titre gracieux d’avocats.
Cela dit, dépendre des financements extérieurs a été, à certains égards, un frein à l’innovation en entraînant les conséquences éventuelles suivantes : des organisations fragilisées, de mauvaises décisions de dépenses (notamment des dépenses excessives), des organisations qui ne sont pas redevables envers les bénéficiaires, l’impossibilité d’accroître l’assistance pour la porter à un niveau permettant de répondre aux besoins réels. Par exemple, d’après les enquêtes menées en 2012 par Open Society Foundations, 74 % des personnes sondées au Tadjikistan ont indiqué avoir eu un problème juridique au cours des trois dernières années et ce chiffre était de 50 % en Macédoine. Les bailleurs de fonds ne peuvent tout simplement pas apporter les financements adéquats.
Le financement public peut parfois combler les lacunes, en particulier au sein des communautés dans des cas qui ne prêtent pas à controverse. Ce type de financement est d’ailleurs en augmentation dans plusieurs pays à revenu intermédiaire comme en Ukraine et en Indonésie. Mais dans les pays à faible revenu, de nombreux gouvernements sont en proie à des difficultés persistantes. Pour identifier de nouveaux modèles économiques, les organisations locales se doivent d’être plus inventives et adaptables.
Si les financements des bailleurs de fonds et des gouvernements sont importants, les organisations ont cependant besoin d’avoir recours à des modèles hybrides de financement et d’utiliser plusieurs modèles en même temps pour réduire les risques et améliorer l’efficacité. La plupart des prestataires de services juridiques (qu’ils soient du secteur public, privé ou des ONG) ne sont pas bien armés pour ce type de travail, que ce soit à cause des restrictions réglementaires, d’un manque d’expérience du monde des affaires, ou d’une certaine réticence, car collecter des contributions d’un montant peu élevé peut prendre plus de temps que demander une subvention dont le montant est important. Pourtant, mettre en place des systèmes hybrides de financement peut permettre de compenser la réduction d’un flux financier spécifique et de se concentrer sur les besoins réels des clients.
Les organisations ont cependant besoin d’avoir recours à des modèles hybrides de financement.
Dans cette optique de financements hybrides, les possibilités de sources alternatives de revenus sont nombreuses et incluent notamment les suivantes : 1) les modèles d’entreprise sociale s’appuyant sur les contributions des utilisateurs (sous forme de services bon marché ou de cotisations) ; 2) les contributions provenant des membres de la communauté locale ; 3) les activités commerciales secondaires ; 4) développer un capital générant un retour permanent ; et 5) les contributions d’entreprises obligatoires.
Les entreprises sociales sont des organisations qui s’appuient sur des revenus commerciaux pour atteindre un but social. Un marché semble exister pour les services à prix modique. Plutôt que de se concentrer exclusivement sur les plus défavorisés, cibler les catégories intermédiaires peut être un modèle économique plus efficace tout en permettant aux plus pauvres de faire des économies. Des frais de service minimes ou une cotisation peuvent être appliqués.
Par exemple, l’assurance juridique à prix modique est populaire en Hollande et en Afrique du Sud. Au Rwanda, Microjustice for All fait baisser les coûts en regroupant les femmes gestionnaires de micro-entreprises qui ont besoin de s’immatriculer pour commercer et qui sont disposées à payer une somme limitée pour louer collectivement un véhicule afin de mener à bien les démarches administratives. Au Bangladesh, BRAC exige un don de la part des utilisateurs qui ont les moyens de payer pour une assistance juridique. Au Royaume-Uni, une coopérative juridique propose des tarifs réduits à ses membres, et en Sierra Leone, une association de femmes commerçantes verse une somme modique récurrente pour payer le travail d’assistance juridique effectué en faveur de ses membres.
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A BRAC director in the field in Dhaka. In Bangladesh, BRAC requests donations from users who are able to pay for legal assistance.
Certains milieux juridiques adoptent cependant une attitude protectionniste à l’encontre des services bon marché. En fait, l’apparition de nouvelles législations reconnaissant le domaine parajuridique (comme celle qui est en cours d’élaboration en Afrique du Sud) spécifient parfois que les organisations d’aide juridique ne peuvent pas facturer de frais pour les services parajuridiques, généralement dans le but de satisfaire le Barreau local. Les gouvernements doivent aider ces petites entreprises du secteur privé en uniformisant les règles du jeu et en éliminant les barrières d’entrée au marché comme les procédures d’immatriculation trop complexes.
Au niveau local, il est important de collecter les contributions des utilisateurs et des donateurs pour sensibiliser aux problèmes juridiques et pour garantir la redevabilité des services. Par exemple, en Égypte, l’association Better Life lève des fonds localement pour prendre en charge des dossiers qui intéressent particulièrement les populations locales. Certaines communautés font des dons en nature, sous forme de mobilier (p.ex., les centres d’aides communautaires « Community Advice Offices » en Afrique du Sud), ou de terrains pour construire une permanence (p.ex., Timap en Sierra Leone). Les collectivités locales, comme en Ukraine et en Afrique du Sud, fournissent souvent les infrastructures et sont compensées via les impôts locaux.
Mais lorsque le financement public est insuffisant, une activité secondaire peut compléter les revenus de l’organisation. En Afrique du Sud, les permanences juridiques organisent des évènements dansants, cultivent des légumes et recyclent des déchets. De plus, des organisations, comme Namati, font du conseil ou de la formation en sous-traitance tout en subventionnant les coûts.
Une autre approche consiste à développer un capital pour générer un retour permanent. Par exemple, au départ, un bailleur apporte des fonds sous forme de dotation ou un membre de la communauté lègue un bien immobilier à sa mort, ce à quoi s’ajoutent ensuite les petites contributions d’activités commerciales complémentaires. L’idée centrale est d’avoir un capital qui puisse être investi (ou loué) et de n’utiliser que les retours, généralement entre 2 et 8 %. Cela peut donner une base pérenne assurant la sécurité institutionnelle en encourageant à la prudence en matière de dépenses. À titre d’exemple, le gouvernement pakistanais a apporté une dotation de 5 millions de dollars, suivi par un don de 400 000 $ d’OSF pour les services juridiques au programme, à l’ONG Sarhad Rural Support Program au Pakistan. De même, la Fondation Ford a fait un don de 500 000 $ à l’Association of University Legal Aid Institutions Trust en Afrique du Sud. Les règles des donateurs en matière de dépenses ne sont pas toujours propices à la constitution de dotations mais ce devrait être le cas pour les organisations reconnues.
Les gouvernements peuvent également faire davantage pour dynamiser le marché des services juridiques en exigeant des contributions de la part des entreprises. Les gouvernements de l’Inde et du Nigeria, par exemple, ont identifié des domaines prioritaires pour les investissements vers lesquels les entreprises doivent diriger un certain pourcentage de leurs capitaux ou de leurs profits. Par ailleurs, les gouvernements peuvent exiger que les entreprises apportent leur contribution financière pour avoir le droit de faire des affaires. En Sierra Leone, un projet de loi stipule que les entreprises qui investissent massivement dans les terres doivent contribuer à un fonds commun qui appuiera la représentation juridique des populations locales affectées par ces investissements. Ce dispositif peut s’avérer plus judicieux pour les problèmes juridiques touchant un domaine spécifique plutôt que pour des problèmes intracommunautaires.
En effet, certaines sources de revenus sont particulièrement adaptées à certains types de problèmes spécifiques. Les problèmes liés à l’emploi, par exemple, se prêtent particulièrement bien aux entreprises sociales ou aux modèles qui reposent sur les cotisations, mais sont moins susceptibles d’attirer les contributions philanthropiques. Les problèmes d’accès au service peuvent attirer les contributions des communautés mais les contributions d’entreprises peuvent ne pas être pertinentes. Adopter une approche hybride revient à reconnaître que des problématiques spécifiques sont adaptées à des types de financement spécifiques. Cette réflexion peut servir de point de départ pour évaluer les modèles économiques afin de s’attaquer à des types de problèmes juridiques particuliers.
Au-delà de la prise en compte des différentes sources de financement, il est également nécessaire de prêter une plus grande attention à la réduction des coûts (en distinguant ce qui peut être pris en charge par les plaignants eux-mêmes et ce qui nécessite l’appel à une expertise spécifique) et à l’utilisation de la technologie pour améliorer l’efficacité de l’aide juridique. D’autres approches du financement, avec des exemples couvrant d’autres secteurs, sont exposées dans un récent rapport de LDP (Law and Development Partnership).
Les bailleurs de fonds devraient encourager activement le financement hybride, en conditionnant dans certains cas le financement à cette approche, et en aidant les organisations à développer les infrastructures internes permettant cette diversification. La plupart des organisations sont naturellement très enclines à trouver des moyens de rendre leurs activités plus viables financièrement, et les praticiens de la démarginalisation du droit sont toujours à la recherche de suggestions. Et pourtant, à ce jour, les innovations ont été compartimentées et à petite échelle. Il est temps de passer à la vitesse supérieure.