Le Conseil des droits de l’homme à 10: trop de paroles, pas assez d’action?

En 2016, le Conseil des droits de l’homme de l’ONU célèbrera son dixième anniversaire. Bien que celui-ci ne sera pas accompagné d’un examen formel de son travail et de son fonctionnement, contrairement au cap des 5 ans d’existence du Conseil, il représente une importante opportunité de faire le point sur l’organe des Nations Unies et sur ses accomplissements et échecs. Et il apparaît d’emblée que, malgré le talent du Conseil pour débattre des droits de l’homme, il ne prête guère attention à la manière dont ces droits sont violés dans des pays spécifiques.

À un certain niveau, en regardant uniquement sa popularité et le sérieux dans l’implication des États, le Conseil a indiscutablement été une grande réussite. Un visiteur occasionnel de la 28ème session en mars aura noté un niveau record d’enthousiasme et d’implication avec le Conseil. Après une réunion de haut niveau qui vit une pléthore de chefs d’États, de Premiers ministres, et de ministres des Affaires étrangères, et notamment de Sergei Lavrov et John Kerry, s’adresser aux pays membres du Conseil, les délégations se sont attelées à travailler sur un ordre du jour de plus en plus rempli, jalonné par un nombre toujours plus important de résolutions, de réunions-débats, et de dialogues interactifs au titre de procédures spéciales.

Au cours des huit années et des 27 sessions ordinaires depuis sa création, le Conseil a adopté un total de 762 textes, la vaste majorité d’entre eux étant des résolutions (ces textes ne furent pas répartis uniformément dans le temps) : par exemple, en 2006, le Conseil adopta 43 textes alors qu’il en adopta 112 en 2013. Une croissance exponentielle similaire a été constatée dans le nombre de réunions-débats (passant de 2 en 2007 à 23 en 2014), de mandats au titre de procédures spéciales (aujourd’hui plus de 50, avec 74 titulaires de mandats), et de rapports commissionnés par le Haut-Commissaire ou par le Secrétaire général (plus de 450 présentés devant le Conseil depuis 2007). Une autre mesure de la popularité est le fait que, derrière le Conseil de sécurité, un siège au Conseil des droits de l’homme est l’un des postes les plus convoités aux Nations Unies.

Il apparaît d’emblée que, malgré le talent du Conseil pour débattre des droits de l’homme, il ne prête guère attention à la manière dont ces droits sont violés dans des pays spécifiques.

Cependant, une évaluation plus significative du Conseil ne porte pas sur la quantité produite mais plutôt sur ce qu’il produit, par rapport à son mandat. Le Conseil et son mandat furent créés par une décision des chefs d’États et de gouvernements lors du sommet mondial de 2005, et codifiés par les résolutions de l’Assemblée générale 60/1 et 60/251 plus tard cette année-là. Les deux documents envisagent le Conseil principalement comme un organe qui « examinera les violations des droits de l’homme, notamment lorsque celles-ci sont flagrantes et systématiques, et fera des recommandations à leur sujet. »

Une nouvelle étude de Universal Rights Group, un groupe de réflexion politique basé à Genève, a analysé le travail et la production du Conseil au cours des neuf dernières années. L’étude révèle que l’expansion quantitative du travail et de la production du Conseil, en particulier l’évolution de son système de résolution, est survenue d’une manière incompatible avec les principes de la mission fondamentale de l’organe.

En particulier, le Conseil a systématiquement donné la priorité aux discussions sur des problématiques générales plutôt qu’à l’examen de la situation des droits de l’homme dans un pays spécifique. Plus de 55% des résolutions adoptées depuis la création du Conseil ont porté sur des problématiques générales entrant dans la section 3 de son ordre du jour, (« Promotion et protection de tous les droits de l’homme, civils, politiques, économiques, sociaux et culturels »). En revanche, les résolutions spécifiques concernant un pays en particulier, traitées dans la section 4 de l’ordre du jour (« Situations relatives aux droits de l’homme qui requièrent l’attention du Conseil ») n’ont représenté que 7% de sa production totale.

Le déséquilibre est également reflété dans le temps alloué à ces deux sections au cours des sessions du Conseil : entre 2010 et 2014, un total de 646 heures (26,9 jours) a été consacré à la discussion et aux activités de la section trois, comparé à 153 heures pour la section quatre.

Il y a deux raisons principales (qui sont imbriquées) à ce déséquilibre. La première concerne le fait que les débats sur les thématiques générales et les résolutions sont plus aisés et moins controversés, et donc plus populaires. En effet, de nombreux pays en développement, en particulier ceux qui sont membres du Groupe des États partageant une optique commune (LMG), s’opposent systématiquement aux résolutions portant sur des violations dans un pays spécifique au motif que le fait de « montrer du doigt » ou de « stigmatiser » va (pensent-ils) à l’encontre de l’esprit et des objectifs du Conseil et de l’ensemble du système des Nations Unies.

La deuxième raison de ce déséquilibre (liée à la première) est que seulement deux acteurs du Conseil, l’Union Européenne et les États-Unis, ont constamment fait preuve de volonté politique et utilisé le capital politique nécessaire pour garantir l’adoption de résolutions traitant de cas spécifiques de violations. Sur 46 résolutions pour la section quatre qui furent adoptées entre 2008 et 2014, 56% étaient proposées par l’UE ou par un grand pays membre de l’UE et 20% par les États-Unis.


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US Secretary of State John Kerry prepares to deliver a speech to the UN Human Rights Council.


Une conséquence importante de la dépendance du Conseil par rapport à l’Europe de l’Ouest et aux États-Unis pour proposer et faire adopter des résolutions portant sur des pays spécifiques (quoique parfois de concert avec le Groupe africain)– avec sa décision sans précédent en 2006 de dédier une section entière de son ordre du jour exclusivement à une situation relative aux droits de l’homme (les territoires palestiniens occupés)– est que l’organe a été hautement sélectif pour ce qui est du choix des crises relatives aux droits de l’homme sur lesquelles se pencher.

Depuis 2007, seules 14 violations dans un pays spécifique ont été considérées comme entrant dans le cadre de celles qui « requièrent l’attention du Conseil ». Quand l’on considère l’ampleur et la diversité des violations des droits de l’homme perpétrées depuis 2007, il est clair qu’en traitant seulement 14 cas de violations, le Conseil est coupable d’un grave manquement à ses responsabilités. Par exemple, un observateur objectif peut trouver questionnable le fait que sur les dix pays les plus mal classés dans l’indice de démocratie publié par l’Economist Intelligence Unit en 2013 (c’est-à-dire les dix régimes les plus autoritaires), huit n’ont jamais figuré dans la section quatre de l’ordre du jour du Conseil.

Ces orientations sont clairement contraires au mandat fondamental du Conseil consistant à « traiter les situations de violations des droits de l’homme », comme prévu à l’origine. Nous aimerions tous croire que les gouvernements n’ont pas créé le Conseil uniquement dans le but de générer plus de paroles et de documents, avec peu d’action réelle pour protéger concrètement les droits de l’homme. Alors que la communauté internationale se tourne vers le dixième anniversaire de l’organe, celui-ci doit régler ce type de déséquilibre institutionnel afin de traduire la popularité, dont il jouit actuellement auprès des États, en actes concrets et pertinents.