’L’or n’est actuellement pas exploité en Haïti, cependant le gouvernement a fait de l’extraction minière un pilier du développement économique et encourage, depuis des décennies, les investissements, sans se soucier des conséquences humaines et environnementales. Notre travail avec le Collectif pour la justice sociale (Kolektif Jistis Min ou KJM) vise en premier lieu à aider les populations locales vivant dans des régions rurales et isolés où des mines ont été exploités ou sont en projet. Nous les aidons à s’organiser, à connaître leurs droits et à agir ensemble afin de revendiquer leur participation aux décisions ayant des conséquences sur leur avenir.
L’or et les droits humains ont depuis longtemps fait partie de l’histoire d’Haïti : les premiers colons sont restés en partie parce que les Taïnos se paraient de l’or qu’ils trouvaient dans les sols et les cours d’eau. A parti de l’exploitation, les colons ont tué les tainos avant de faire venir de la main d’œuvre en provenance de l’Afrique par le biais du traitre des noirs. Plus de 300 ans après, les esclaves ont renversé l’armée française pour devenir la première république noire et la seule nation née d’une révolte des esclaves. La création d’Haïti, et la révolution qui a entraîné sa création, repose sur les mêmes principes qui figurent aujourd’hui dans la déclaration universelle des droits de l’homme.
Malheureusement, les pays puissants se sont alliés dans le but d’étrangler le nouvel État Haïtien et son projet de bien-être universel. Les puissances étrangères ont soutenu des dictateurs et continué d’interférer dans la vie politique haïtienne avec des conséquences néfastes pour les pauvres qui représentent la majorité de la population. À ce jour, le pays n’a toujours pas connu de gouvernement qui respecte, protège et réalise les droits humains de ses citoyens.
Bien que le terme de « démarginalisation par le droit » ne fasse pas encore partie du vocabulaire employé par les mouvements sociaux en Haïti, les principes d’éducation populaire sont essentiels aux efforts de résistance et de préservation du collectif. Dans un des pays les plus inégalitaires au monde, les gens sont trop habitués à l’exclusion, que ce soit dans le domaine scolaire, de l’économie formelle, de la participation à la vie politique, ou même concernant la connaissance des droits humains. La « démarginalisation par le droit » est fondamentale pour remettre en cause cette exclusion. Les gens doivent connaître leurs droits fondamentaux, et ils doivent se voir comme des citoyens actifs plutôt que strictement comme des victimes. Comme l’a dit Gandhi, « Tout ce que vous faites pour moi mais sans moi, vous le faites contre moi ».
KJM utilise la méthode SPIRAL dans une démarche d’éducation populaire afin de favoriser l’inclusion et de mettre l’expérience des oppressés au cœur de notre travail. La méthode SPIRAL est composée des étapes suivantes :
- Inclure tout le monde. Nous avons tous des connaissances et nous créons ensemble la connaissance. Tous les membres de la communauté, qu’elle qu’en soit la définition, doivent participer.
- Discuter de nos expériences communes. De quels problèmes communs avons-nous souffert ? Quels sont les objectifs que nous partageons ? On reconnaît les différences et on insiste sur les points communs.
- Ajouter des informations : de quelles informations supplémentaires avons-nous besoin ? En quelle occasion d’autres personnes ont souffert d’un problème du même type ? Quels enseignements pouvons-nous en tirer ?
- Définir ensemble un plan d’action en se basant sur des connaissances communes.
- Agir ensemble pour adresser un problème commun.
La méthode SPIRAL a été d’une grande utilité à KJM. Au nord d’Haïti, par exemple, KJM a utilisé la méthode SPIRAL pour unir des organisations au profil disparate, dans une communauté locale où une société détient un permis d’exploitation minière. Les organisations (syndicats agricoles, associations de défense des droits des travailleurs, prêtres vaudou, église catholique, écoles et hôpitaux locaux, organisations de défense des droits des femmes) regroupaient des personnes très diverses : des femmes et des hommes, des personnes sachant lire et d’autres dépourvues de cette capacité, des membres de la vie active, des étudiants, et autres. Après quatre réunions consécutives, ce groupe avait rédigé une lettre ouverte aux responsables gouvernementaux, affirmant un certain nombre d’inquiétudes communes et dénonçant l’exploitation minière dans la région. La lettre écrite en mai 2018 fait référence à l’expérience des populations latino-américaines et africaines confrontées à l’exploitation minière assurée par les multinationales. Le groupe a ensuite remis la lettre aux autorités locales et travaillé avec KJM pour la remettre aux responsables gouvernementaux dans la capitale située à huit heures de trajet en voiture. Cette lettre sert de déclaration commune unifiant le point de vue des populations locales. Les étapes et la méthode conduisant à sa rédaction pourront guider les décisions qui seront prises, notamment concernant le fait de demander à participer aux décisions sur les activités minières.
À ce jour, aucun responsable gouvernemental n’a répondu à la lettre.
Cependant, KJM et les organisations locales sont habituées au silence de l’État haïtien. En 2015, KJM et la Global Justice Clinic ont témoigné du manque d’accès à l’information concernant les mégaprojets à Haïti lors d’une audience thématique devant la Commission interaméricaine sur les droits de l’homme. Le gouvernement haïtien n’avait pas assisté à l’audience. KJM a demandé plusieurs fois à rencontrer des membres du Parlement qui siègent au comité qui supervise le secteur minier. Les parlementaires n’ont jamais répondu.
Ce proverbe guide nos relations avec l’État haïtien : « Quand on dîne avec le diable, il faut avoir une longue cuillère ». KJM prend des précautions dans ses actions de plaidoyer et dans ses alliances. Le gouvernement n’est pas un allié mais un acteur sans scrupule que nous devons aborder avec prudence.
Les initiatives visant à faire en sorte que les populations locales connaissent leurs droits et soient en capacité de les revendiquer sont essentielles dans le cadre d’un État aux abonnés absents. Les communautés haïtiennes se renforcent et adressent leur requêtes non seulement aux autorités publiques mais également aux autres acteurs concernés, par exemple, les entreprises et les institutions financières internationales (comme la Banque mondiale qui soutient le remaniement du droit minier haïtien). En matière de « démarginalisation par le droit », si les résultats concrets importent (prévenir l’extraction minière dans certaines communautés locales), c’est également le cas pour la démarche. En mettant en pratique la méthode SPIRAL, les membres de la communauté, travaillent ensemble pour souligner des problèmes communs et proposer des solutions communes tandis qu’ils renforcent leur capacité à lutter contre l’injustice en se basant sur les connaissances spécifiques des fermiers locaux.
Bien que les autorités gouvernementales n’aient pas répondu à la lettre ouverte, sa création a soutenu, si ce n’est transformé, les initiatives locales visant à s’organiser. La lutte en faveur des droits des populations locales confrontées à l’activité minière englobe aujourd’hui de nombreuses organisations et personnes nouvelles. D’autres communautés locales vivant dans le périmètre ou à proximité d’un permis d’exploitation minière ont reconnu la lettre comme le fruit d’une initiative rare incluant tous les groupes de population et soulignant des objectifs communs. Plus concrètement, dans les mois à venir, les résidents de cette communauté locale dans le nord, qui ont rédigé la lettre ouverte, prévoient de venir à Port-au-Prince pour chercher à rencontrer des responsables gouvernementaux et tenir une conférence de presse afin de faire part de ce qu’ils ont appris ou plus probablement afin de dénoncer publiquement le refus du gouvernement de prêter attention aux inquiétudes de ses citoyens.
Les projets miniers dans le monde montrent que, souvent, les entreprises s’enrichissent tandis que les populations locales sont confrontées à plus d’injustice et de violations des droits. Bryan Stevenson, fondateur d’Equal Justice initiative, a dit que le contraire de la pauvreté n’est pas la richesse mais la justice. KJM et d’autres mouvements sociaux à Haïti réinventent la justice en la rendant accessible. La Justice ne se joue pas seulement devant les tribunaux. La justice consiste à connaître ses droits, à apprendre en quoi nous pouvons souffrir des mêmes violations des droits que les autres et à travailler de concert à demander à ce que cela change.