The hand of a homeless man who sleeps on the streets of Santiago, Chile. Can rights, courts, lawyers and activists actually make a difference on poverty?
Mahatma Gandhi qualifiait la pauvreté comme étant la plus grande forme de violence. Le fardeau global de la pauvreté, évitable et du fait de l’homme, se compte en milliers de morts chaque jour et en milliards de malades et d’affamés. C’est un échec pour le mouvement en faveur des droits de l’homme. Cependant, les droits de l’homme ont longtemps fermé les yeux sur la pauvreté, mettant plutôt l’accent sur un petit groupe de droits civils et politiques dans une conception étroite, d’une pertinence marginale pour le pauvre. L’ironie est que les droits de l’homme offrent, en théorie, une telle promesse au pauvre. Les droits de l’homme comprennent un cadre universel unique, s’appliquant de manière égale à tous, couvrant tous les besoins essentiels. Avec un espoir aussi vaste et durable dans les droits de l’homme, cela vaut la peine de poser la question de savoir si les outils du mouvement—les droits, les tribunaux, les avocats, les militants—peuvent vraiment faire une différence quant à la pauvreté.
Quand mes collègues et moi-même avons pris le parti de bâtir une organisation de défense des droits économiques et sociaux, il y a de cela vingt ans (le Center for Economic and Social Rights), nous (et d’autres) prônions à la fois une conception plus large des droits et la nécessité de nouvelles manières de travailler. Nos préoccupations, que les modèles traditionnels du haut vers le bas des droits de l’homme échoueraient à faire bouger les choses sur des questions qui défieraient l’ordre économique, politique et juridique établi, anticipaient le déferlement récent de critiques des "droits de l’homme" dans ces pages et dans d’autres. Nous savons depuis longtemps que la pauvreté trouve ses racines dans le pouvoir et cependant, les approches traditionnelles de la pauvreté faisant abstraction du pouvoir restent prédominantes.
Nous voyons cela dans différents domaines. La communauté du développement dépense la majeure partie de ses ressources à s’occuper de crises à court terme et évite les violations systémiques. Les services juridiques pour les pauvres restent liés à des modèles de service individuel. Les principaux groupes de défense des droits de l’homme font des interventions prudentes et apolitiques dans les droits économiques et sociaux, en se focalisant uniquement sur les violations flagrantes. Il ne fait aucun doute que ces interventions peuvent être bénéfiques pour les populations pauvres mais elles ne vont pas transformer la pauvreté. Pire encore, des défenseurs des pauvres bien intentionnés vont souvent finir par renforcer un sentiment de victimisation et de dépendance et légitimer le système dans son ensemble.
Les communautés juridiques et de développement ont réagit face aux approches du haut vers le bas en insistant sur l’importance d’autonomiser les pauvres tout en les servant. Ceci a été décrit comme « l’exercice rebelle du droit » ou « la pratique communautaire du droit » par les praticiens américains du droit de la pauvreté/du droit progressiste, et comme une approche « par les capacités » ou de « développement humain » par les défenseurs du développement. Si les outils ne le sont pas toujours, la rhétorique relative aux droits de l’homme est bien adaptée à ces fins, capable de libérer les « victimes » des mentalités contraignantes traditionnelles, de légitimer les doléances, et d’aider à passer à l’action.
Mais les approches du bas vers le haut soulèvent divers défis pour les défenseurs des droits de l’homme. Elles exigent des engagements importants en matière de temps et de ressources. Elles vont à l’encontre des rôles juridiques traditionnels, des formations et des égos. Elles peuvent se diluer dans un niveau de micro-gestion dans le domaine de la pratique du droit ou des actions de plaidoyer qui perd ainsi de vue la forêt (les dynamiques du pouvoir institutionnel dans son ensemble) pour ne plus voir que l’arbre. Elles sont particulièrement délicates pour les actions transnationales de sensibilisation en faveur des droits de l’homme, menées hors des frontières avec un faible niveau de connexion avec les véritables « clients ».
A l’autre bout de l’échelle se trouve ce qui pourrait être décrit comme « cause lawyering » ou « litiges sur les répercussions ». Ralph Nader décrit ceci comme la pratique du droit sans clients, avec les « victimes » sélectionnées et instrumentalisées pour une finalité juridique plus large. De nombreux défenseurs des droits de l’homme s’associeraient avec cette approche. Les défenseurs des droits ont bruyamment proclamé la « justiciabilité » des droits économiques et sociaux, gagnant des affaires faisant jurisprudence devant les organes conventionnels et les tribunaux nationaux sur des questions relatives à la santé, au logement, à l’assistance publique, au foncier et ainsi de suite (ESCR-Net maintient une solide base de données de ces affaires). Ces affaires peuvent servir à la fois à des fins juridiques et organisationnelles, renforçant la légitimité de droits encore naissants, augmenter la prise de conscience, fournir un point focal pour les mobilisations, et créer un véritable pouvoir politique/juridique (droits de procédure), entre autres.
Néanmoins, les avis sont partagés sur le « cause lawyering ». La plupart des magistrats ne sont pas bien disposés pour ces affaires, les gagner exige d’énormes ressources et des compromis juridiques, et leur application reste un défi important. L’expérience américaine avec les litiges sur les répercussions appelle à une certaine prudence ; après une étude approfondie, un consensus s’est dégagé comme quoi même les victoires emblématiques comme Brown contre Board of Education et Roe contre Wade pourraient faire plus de dégâts que de bien à long terme en détournant l’énergie, les dirigeants et les ressources des efforts au niveau de la base et politiques, et déclenchant un retour de bâton puissant. Les revues initiales des affaires de droits économiques et sociaux sont également mitigées.
Quelque part entre ces deux approches se trouve un juste équilibre qui utilise abondamment le discours des droits tout en étant sélectif sur les approches juridiques ; qui intègre toutes les actions juridiques au sein des mouvements existants en tant qu’instruments d’autonomisation et non pas en tant que finalité ; qui déploie les avocats à la fois en tant que « techniciens du droit » et en tant que « militants » ; et qui est capable de reconnaître les dynamiques du pouvoir renforçant la pauvreté au niveau local, national et international en étant à même de faire le lien entre ces niveaux.
Tout ceci pose certaines questions :
- Les ressources peuvent-elles être mobilisées à un niveau permettant de soutenir un travail en faveur des droits de l’homme qui confronte directement la pauvreté, les inégalités et les intérêts établis ? Les préjugés de longue date des bailleurs de fonds des droits de l’homme contre les droits économiques et sociaux continuent de limiter ce travail.
- Les avocats et les litiges peuvent-ils être intégrés dans les luttes au niveau des populations sans les coopter ? La formation juridique, la proximité avec le pouvoir, l’attrait des poursuites judiciaires, les mythes en matière d’expertise juridique travaillent à l’encontre des efforts entrepris en toute bonne foi par les avocats pour servir plutôt que pour diriger les campagnes.
- Les défenseurs transnationaux des droits de l’homme peuvent-ils trouver une façon suffisamment proche et collaborative de travailler avec les populations vivant dans la pauvreté tout en gardant une orientation stratégique sur des questions structurelles plus larges ? La montée en puissance de groupes de défense des droits de l’homme dans le sud de la planète, connectés aux mouvements sociaux et aux plateformes internationales (avec le soutien utile de la Fondation Ford) constitue une étape prometteuse, même si fragile, dans cette direction.
- En fin de compte, le fait de se tourner vers les droits, les avocats et les tribunaux soulève la question de savoir si les propres outils du système peuvent être déployés pour changer (plutôt que pour renforcer) ce même système. Les théoriciens vont faire fi de ce pessimisme, mais les praticiens n’ont pas ce luxe. Nous avons besoin de ces outils et de nouvelles façons de les faire fonctionner.