Cet article ne porte pas sur le Covid-19, bien que cette question est bien présente, vu que je le l’ai rédigé en étant confinée et que je l’ai présenté, via Zoom, de Londres, à la conférence de Binghamton sur les femmes, la paix et la sécurité à New York. Il semble aujourd’hui impossible de parler ou d’écrire sur le désarmement, la sécurité au quotidien, la reproduction sociale, l’économie solidaire et la création de communautés sans établir un lien avec l’impact de la pandémie sur notre vie quotidienne.
Mon sujet, cependant parle de contestation. Je m’intéresse à la relation entre la contestation féministe et les résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies sur les femmes, la paix, et la sécurité. Quel est le lien entre la contestation et le féminisme universitaire, militant et politique? Je m’intéresse tout particulièrement au préambule des résolutions du Conseil de sécurité et comment ces préambules permettent de comprendre ce qui est retenu (et ce qui est éliminé) en matière de contestation féministe lorsque celle-ci est transposée sous une forme juridique.
Plus particulièrement, j’enquête sur le lien entre la contestation féministe et le préambule pour mieux comprendre comment les documents juridiques filtrent le discours féministe en sélectionnant les méthodologies féministes. Mon argument est que les femmes, la paix, et la sécurité (ainsi que l’agenda du Conseil de sécurité en matière de genre et de conflits) reprennent des messages inspirés du féminisme pour en faire une arme normative. Cette approche a été affinée au fil des décennies pour finir par négliger en grande partie l’origine féministe transnationale et diverse dont s’inspire le droit.
Quel est le lien entre la contestation et le féminisme universitaire, militant et politique?
Cette recherche s’inspire d’Alaa Salah, qui a vu son image utilisée par les médias internationaux afin de symboliser la contestation au Soudan en 2019. J’ai également pris en compte les diverses facettes du militantisme féministe international, de Women in Black au mouvement pour la paix au Libéria, en passant par les femmes ayant participé à la Conférence de la paix à Genève en 1915. Si je reprends la contestation soudanaise pour illustrer mes propos, mon objectif consiste à inciter à se plonger plus profondément dans la dimension temporelle et géographique du militantisme féministe mondial, qui est, à mon avis, le véritable préambule pour les femmes, la paix, et la sécurité.
Les résolutions du Conseil de sécurité contiennent deux types de texte. Le préambule, qui introduit le contexte normatif juridique dans lequel s’inscrit la résolution (comprenant une documentation des résolutions précédentes qui sont pertinentes) et les parties opératives, qui créent des obligations juridiques contraignantes, ainsi que non contraignantes, pour les acteurs internationaux.
Pendant longtemps, le préambule des résolutions du Conseil de sécurité a servi à décrire le cadre juridique en place avant la résolution sans inclure de contenu descriptif et normatif. A la fin des années 1990 (et la résolution 1325 du Conseil de sécurité est importante à cet égard) les préambules ont commencé à s’étoffer. Cependant, le texte supplémentaire en lui-même importe davantage que la longueur du préambule et porte généralement sur le statut juridique des résolutions, une revendication qui a toujours été mise en avant par le mouvement féministe. La résolution 1325 est vue comme un « Chapitre VI » qui ne créé pas d’obligations juridiques contraignantes pour les États. Néanmoins, Chinkin et Rees, dans leur étude de la résolution 2467, affirment que même le Chapitre VI, considérée comme une des dix résolutions du Conseil de sécurité sur les femmes, la paix et la sécurité, est juridiquement pertinent, notamment en raison de ce qui a été répété au cours de plus de deux décennies.
Le contenu des préambules des résolutions du Conseil de sécurité fait spécifiquement référence aux connaissances juridiques sous la forme de résolutions antérieures pertinentes du Conseil de sécurité et du traité de loi. Dans les résolutions sur les femmes, la paix et la sécurité, les références à des documents de droit non contraignants (comme le Beijing Platform for Action) font également généralement partie du préambule. De même, le contenu normatif est également présent, à savoir des textes non juridiques qui parlent des valeurs, des objectifs et de la raison d’être de la résolution.
Ce texte normatif semble reprendre des messages du mouvement féministe, par exemple, sur l’absence des femmes des organes décisionnels ou sur l’impact de la violence sexuelle en période de conflit. Cependant, dans le même temps, ces textes ignorent le rôle des méthodes et des connaissances propres au féminisme, ainsi que les appels à faire évoluer les structures et les institutions notamment pour la démilitarisation, le désarmement et la prise en compte du lien entre la sécurité au quotidien et la politique sécuritaire internationale.
Je considère que les connaissances sont au cœur des pratiques féministes avec une approche spécifique permettant d’adapter les connaissances du local à l’international, donnant aux cadres d’action en place un sens au niveau local. Lors du débat annuel du Conseil de sécurité sur les femmes, la paix et la sécurité, Salah a déclaré :
Les demandes des jeunes et des femmes soudanaises peuvent réellement se résumer au mot d’ordre de la révolution : « Liberté, paix et justice ».
Dans ce contexte, Salah ne sert pas les droits des femmes en temps de confinement ou à faire de la lutte contre les violences sexistes une finalité, mais plutôt comme une plateforme pour un mouvement en faveur de la paix et de la justice pour tous. En écho au rôle de la chanson dans les contestations soudanaises, le militantisme féministe s’inscrit dans un récit de communautés réinventées, loin de tout militarisme. En passant de la contestation au Conseil de sécurité pour finir en résolutions sur les femmes, la paix et la sécurité, le chemin emprunté par le féminisme révèle ce qui est transposé dans le droit international ainsi que ce qui est éliminé.
Par exemple, lorsque le Conseil de sécurité s’est repenché sur le Soudan, deux semaines après l’intervention de Salah devant le Conseil, il a traité de la situation à Abiyé, dans la résolution 2497, sans inviter de représentants du Soudan à participer au débat sur les femmes, la paix, et la sécurité. Il se contentait également de faire référence au 1325 dans le préambule, exigeant une amélioration, au Soudan et au Soudan du Sud, de la participation des femmes (partie opérative 19) et l’inclusion des violences sexistes dans la liste des violations des droits humains (partie opérative 26). En conséquence, les connaissances, au niveau local et régional, du mouvement féministe ne sont pas reprises dans les initiatives internationales qui puisent, en premier lieu, dans ces connaissances via l’agenda sur les femmes, la paix et la sécurité, avant de ne les intégrer qu’à minima dans les résolutions sur les solutions régionales.
Cet exemple illustre comment les approches féministes transnationales en matière de paix et de sécurité sont filtrées via les préambules des résolutions sur les femmes, la paix et la sécurité, avant d’être reprises de manière plus succincte dans le texte principal de la résolution, pour finir par être encore dilué davantage dans les résolutions qui traitent d’une situation spécifique.
Les actions et les messages divers sur la paix et la sécurité, au niveau local et international, du Népal à la Somalie en passant par Bougainville apportent des méthodologies et des connaissances féministes qui sont actuellement absentes des résolutions sur les femmes, la paix et la sécurité. Mon travail sur Bougainville montre le fossé qui sépare l’action féministe locale et la création de seulement trois postes gouvernementaux pour les femmes une fois le conflit terminé. Les études du Népal en période post conflit montrent à la fois une hausse de la participation des femmes dans les structures de gouvernance et une hausse du mécontentement des femmes avec les résultats obtenus. Ces récits se répètent dans les communautés en temps de conflit ou en période post-conflit, et cependant, les victimes, qui vivent ces réalités, ne se sont pas vu confier un rôle d’expert chargé de bâtir les réponses futures à la sécurité et à l’insécurité.
Au-delà des résolutions, l’histoire de la contestation féministe est dynamique, diverse, et fondatrice. Ce sont ces connaissances, évolutives et alternatives, qui nourrissent ma réflexion pendant cette période de confinement sanitaire, car elles ouvrent la voie vers des changements structurels significatifs. En revanche, les préambules des résolutions sur les femmes, la paix et la sécurité ne servent qu’à rétrécir le champ des références et à permettre de concilier le féminisme avec le programme du Conseil de sécurité où dominent les questions d’ordre militaire.
C’est une réalité à laquelle je m’oppose.
Une version plus longue de cet article sera publiée dans la parution de Ian Johnstone et Steven Ratner (Legal Argumentation outside of the Courtroom, Oxford University Press, à paraître en 2021).
Cet article fait partie d’une série sur les femmes, la paix et la sécurité produite en partenariat avec l’université de Binghamton, inspiré d’une conférence qui s’est tenue en avril 2020.