Le système des organes de traités est diagnostiqué comme étant « en crise » depuis au moins trente ans et le thème de sa réforme est tout aussi ancien.
Un premier cycle de réflexion a eu lieu avec le mandat confié à Philip Alston qui estimait déjà en 1997 que le système tel qu’il existait alors n’était pas viable. Depuis, ce constat n’a cessé d’être rappelé et les propositions ambitieuses se sont succédées. Mais les parties prenantes se sont jusqu’ici contentées de réparations de fortune, pour empêcher le navire de prendre complètement l’eau. Aujourd’hui, être membre d’un organe de traité donne l’impression d’être un passager du Titanic : le bateau coule, mais l’orchestre continue de jouer !
2020 sera-t-elle l’année de la remise à flot ?
Si l’on veut vraiment que ce soit le cas, il faut certes que les acteurs se concentrent sur le processus qui s’ouvre à l’Assemblée générale, mais aussi qu’ils voient plus loin. Autrement dit, il faut envisager le renforcement à court terme, la restructuration à moyen terme et la réforme à plus long terme.
Les parties prenantes se sont jusqu’ici contentées de réparations de fortune, pour empêcher le navire de prendre complètement l’eau.
Le premier cycle de renforcement a atteint ses objectifs, dans la mesure où ceux-ci étaient relativement modestes. Par exemple, les organes de traités ont effectivement augmenté considérablement le nombre de rapports périodiques examinés et résorbé leur arriéré. Mais crier victoire serait oublier que seule une minorité d’États remettent leurs rapports à temps. Le constat que Navi Pillay faisait en 2012 reste donc valide : le système fonctionne parce que les États ne respectent pas leurs obligations. De plus, l’augmentation du nombre de membres du secrétariat chargé des traités n’a pas eu lieu dans la proportion initialement envisagée. Ces promesses non tenues ont soumis le personnel du Haut Commissariat (qui assure le secrétariat) à rude épreuve, ce qui compromet nécessairement la pérennité de l’effort engagé.
Le « renforcement » doit donc se poursuivre. Premièrement, il faut tenir les promesses faites en termes d’augmentation du personnel. Le secrétariat est la colonne vertébrale du système. Deuxièmement, il faut poursuivre l’effort en termes d’assistance aux États et monter encore en puissance : faire en sorte que tous les rapports soient remis à temps ; susciter la création de structures nationales chargées de préparer les rapports ; et surtout concentrer au moins la moitié des moyens du prochain cycle au suivi et à la mise en œuvre des recommandations.
2020 doit être le point de départ d’un processus de restructuration en profondeur du système des traités.
Les comités ont en effet leur propre dynamique, que les Etats se doivent d’accompagner et d’encourager. En juillet dernier, les présidents des organes de traités ont établi une vision commune des organes de traité, avec des mesures à mettre en œuvre rapidement : généralisation de la procédure simplifiée, établissement d’un calendrier fixe et coordonné pour la présentation des rapports, nouvelles méthodes de travail pour renforcer les capacités comme l’examen en chambre… Autant de mesures qui, à moyen terme, sont de nature à améliorer de manière radicale la situation.
Mais le Secrétariat doit aussi prendre ses responsabilités. En vertu de toutes les conventions, le Secrétaire général a l’obligation de fournir aux comités les moyens nécessaires à l’accomplissement de leur mandat. Cela passe nécessairement par une réflexion sur les structures, qui doivent être adaptées au mieux aux besoins des comités. Ainsi, un rapport récent de l’Académie du droit humanitaire et des droits humains de Genève met sur la table une proposition qui doit être examinée sérieusement : la création d’une structure professionnalisée semblable à un Greffe pour prendre en charge de manière parfaitement efficace l’administration des communications individuelles.
Il faut envisager le renforcement à court terme, la restructuration à moyen terme et la réforme à plus long terme.
L’exercice qui a conduit les présidents des organes de traités à formuler une « vision » pour leur futur a été salutaire. Il n’a été possible que du fait d’une prise de conscience de l’enjeu existentiel auquel le système était confronté : c’était soit avancer, soit périr ! Les mesures envisagées, si elles sont effectivement mises en œuvre dans les cinq ou six années qui viennent, devraient remettre le navire à flot. Mais attention de ne pas se laisser bercer par le bruit à nouveau régulier du moteur ! Les comités doivent continuer à innover. Et les Etats doivent assumer leur responsabilité, qui est de perfectionner toujours plus avant un système international de protection qui – faut-il le rappeler – a été mis en place pour de bonnes raisons.
Aussi ne faut-il pas attendre pour engager la réflexion sur ce que sera le système après-demain. L’examen périodique des rapports doit devenir un outil pleinement effectif de protection et de promotion des droits de l’Homme. A cet égard, deux voies sont possibles : maintenir la pluralité des organes, mais en coordonnant toujours davantage leur action, en s’inspirant par exemple des propositions d’examen « groupés » (clustered) du rapport de l’Académie de Genève ; unifier le système et le professionnaliser, avec la création d’un comité unique, comme l’avait préconisé Louise Arbour dans son rapport.
Quant aux communications individuelles, il faut réfléchir sans tabou et de façon rationnelle à la possibilité de leur transfert au moins partiel à un organe judiciaire – une cour des droits de l’Homme des Nations Unies. La cour pourrait être saisie directement ou indirectement (après examen du comité compétent, sur demande d’une des parties). Pas besoin de modifier les traités existants : il suffirait d’adopter une nouvelle convention qui établirait le statut de la Cour et que les Etats ratifieraient pour reconnaître sa compétence. Elle constituerait un perfectionnement du système, en plaçant au-dessus des experts des juges professionnels qui rendraient des décisions obligatoires. Loin de consacrer une « fragmentation » du droit international, une telle institution renforcerait sa cohérence, à condition que soient fixées des règles claires de litispendance avec les cours régionales et une obligation d’entretenir un véritable « dialogue des juges ». Elle permettrait également de prévenir tout risque de conflit de jurisprudence interne au système des comités, en unifiant leur jurisprudence.