L’agenda international des droits humains est globalement en grande difficulté. Sur le plan géopolitique, les États-Unis se sont détournés encore plus du rôle de leader de l’ordre libéral international de l’après Seconde Guerre mondiale, accélérant la course à l’influence régionale et internationale, avec la Chine et la Russie en tête. Les Objectifs de développement durable et l’Agenda 2030 des Nations Unies, qui constituent un rare consensus international en faveur du développement fondé sur les droits humains, offrent une voie pour sortir de cette impasse.
Aux Nations Unies, la Chine met à mal les normes universelles des droits humains de plus en plus ouvertement. Ce qui passe par de nouvelles initiatives visant à défendre le droit au développement constamment controversé et d’introduire des concepts comme celui de la « coopération mutuellement bénéfique » afin de battre en brèche toute mise sous surveillance d’un pays en particulier.
La Russie joue le rôle de trouble fête, tant devant les instances traditionnelles, comme le Conseil de sécurité des Nations Unies, où elle continue d'opposer son véto aux résolutions sur la Syrie et sur son utilisation d’armes chimiques interdites, que dans son utilisation de la cyberguerre et des campagnes de propagande.
De leur côté, les puissances moyennes démocratiques n’ont pas la capacité, ou la volonté, de définir leur propre stratégie, efficace et coordonnée, pour sauvegarder l’ordre international.
Dans un contexte de discordes croissantes sur la scène internationale, les Objectifs de développement durable et l’Agenda 2030 offrent une lueur d’espoir. L’Agenda 2030 bénéficie du soutien affirmé de tous les pays, du Nord comme du Sud. Au lieu de privilégier les projets de développement traditionnels pilotés par les États, la priorité est donnée au développement humain en intégrant de manière exhaustive les principes de l’égalité entre les sexes (objectif 5), de non-discrimination, d’accès à la justice et de responsabilité des institutions (objectif 16), ainsi que des objectifs en matière d’éradication de la faim et de garantie de l’accès universel à l’eau potable et à l’assainissement. En s’engageant à « ne laisser personne de côté », les ODD comblent le fossé qui sépare depuis longtemps les exigences économiques et sociales des pays du Sud des priorités en matière de droits civils et politiques des démocraties établies.
Ces synergies conceptuelles sont importantes pour briser l’isolement qui a, de longue date, nuit à l’efficacité de l’action sur le terrain de la communauté internationale. Alors que de plus en plus de voix s’élèvent en faveur de la lutte contre la corruption qui est un obstacle aux services publiques essentiels, comme l’éducation et la santé, nous pouvons entrer dans un cercle vertueux dans lequel les politiques de développement durable, l’État de droit, et les droits humains se renforcent mutuellement d’une façon nouvelle et avec de nouvelles ressources.
Si les ODD offrent un bon point de départ pour intégrer les missions des Nations Unies en matière de développement et de droits humains, ils demeurent de simples aspirations sans les ressources appropriées pour les mettre en œuvre, avec des mécanismes de suivi et de contrôle peu efficaces pour évaluer les progrès. De plus, en raison des objections politiques, tant des pays occidentaux que des autres pays (mais pour des raisons différentes) l’adoption d’une véritable approche du développement fondée sur les droits fait toujours défaut. Malgré les obligations du traité dans ce domaine, les gouvernements sont encore nombreux à se montrer réticents à employer le discours en faveur de l’accès à la santé, à l’eau, à la nourriture et au logement en tant que droits humains fondamentaux.
L’Agenda 2030 souligne cependant l’importance de relever les enjeux politiques comme la participation citoyenne, la transparence et la responsabilité, afin d’obtenir de meilleurs résultats en matière de développement. La plupart des organisations d’aide au développement ont, en fait, depuis de nombreuses années, adopté des stratégies visant à favoriser des institutions transparentes et responsables et des sociétés civiles fortes. Même la Banque Mondiale a consacré son principal rapport annuel en 2017 aux problématiques liées à la réforme des dynamiques de pouvoir politique, à la gouvernance et à l’État de droit, malgré les objections de la Chine à toute utilisation du mot « démocratie ». Les ODD consacrent aujourd’hui ce lien entre développement et enjeux politiques.
Pour capitaliser sur cette opportunité, les acteurs impliqués dans le développement et les droits humains sortent peu à peu de leur isolement pour trouver des synergies au service des priorités de chacun. Les ODD, par exemple, donnent aux organisations qui luttent contre la pauvreté et aux organisations de femmes dans des sociétés plus répressives, comme en Égypte, un ancrage pour militer que les organisations de défense des droits civils et politiques n’offrent généralement pas. Comme le montre l’exemple du Rapporteur spécial de l'ONU sur l'extrême pauvreté dans le cas des États-Unis, ils permettent également d’explorer des voies nouvelles pour traiter des droits économiques et sociaux dans les économies développées. De plus, le système international des droits humains et les institutions nationales des droits humains peuvent utiliser des mécanismes comme les organes conventionnels et l’examen périodique universel pour renforcer les faibles mécanismes de présentation des rapports des ODD.
Malheureusement, les économies avancées des pays du Nord ont tardé à prendre en compte les plans d’action nationaux de mise en œuvre des ODD et les demandes d’augmentation substantielle des ressources pour aider les pays à atteindre ces objectifs. C’est une erreur. En continuant d’améliorer le niveau de vie de leur propre population, la Chine et d’autres pays non-démocratiques vont gagner encore davantage d’influence pour diffuser leur modèle de gouvernance autoritaire aux pays du Sud.
Les bénéficiaires des largesses chinoises pourraient se rendre compte, avec le temps, que l’affaire n’est pas si bonne qu’elle n’y paraît lorsque la Chine commencera à demander un retour sur investissement plus élevé (notamment sur le plan diplomatique et économique) et qu’elle persistera à dénier le principe de réciprocité concernant l’accès à son propre marché domestique. Pour contrer cette approche où la Chine est au premier plan, les démocraties devraient rapidement capitaliser sur le consensus Nord-Sud qui a débouché sur les ODD en redirigeant et en augmentant les ressources et les efforts de diplomatie publique pour aider les États à atteindre ces objectifs.
L’approche américaine du développement durable, et plus généralement de l’aide au développement, est mise à mal par la tendance actuelle à voir la souveraineté sous un angle nihiliste. La menace de Trump de suspendre l’aide au développement aux États qui ne s’alignent pas sur les exigences américaines, comme, par exemple, le fait de reconnaître Jérusalem comme capitale d’Israël, est pour le moins contre-productive. A leur crédit, les auteurs de la dernière stratégie de sécurité nationale américaine ont fait un remarquable travail d'intégration des concepts de gouvernance responsable, de développement inclusif, et de dignité humaine dans le document final. Mais la recherche du terme « développement durable » dans le document de stratégie n’a donné aucun résultat.
Pour résumer, la concurrence croissante pour le leadership international dans les prochaines décennies va grandement tourner autour de la question du type de système politique et économique le mieux à même de générer un développement humain durable au bénéfice des citoyens. L’Occident prospère et démocratique a mené cette bataille au cours des sept dernières décennies. La Chine a désormais fait son apparition, avec des résultats incontestables en matière de développement sur son territoire, malgré son système de parti unique et fermé, et d’importantes ressources financières pour diffuser son modèle aux pays en développement. Les États-Unis et ses partenaires devraient adopter pleinement les ODD et les considérer comme une approche globale et « gagnant-gagnant » du développement.