Les activités commerciales peuvent impacter les droits humains de diverses manières, notamment au niveau des conditions de travail des femmes dans les filières d’approvisionnement, de la remise en cause de l’accès des peuples autochtones aux ressources naturelles en raison de l'exploitation foncière à des fins commerciales, ou encore de la réglementation du commerce et de l’investissement et de ses conséquences sur l’agriculture et les petits exploitants agricoles.
En 2011, les Principes directeurs des Nations unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme furent adoptés par le Conseil des droits de l’homme, renforçant ainsi la responsabilité des entreprises en matière de respect des droits humains. Depuis lors, les études d’impact sur les droits humains (EIDH) qui consistent, en se basant sur les faits, à identifier et atténuer les effets négatifs, sur les populations, de l’activité commerciale, se sont imposées comme un des principaux leviers permettant au monde des affaires, aux pouvoirs publics, et à la société civile, de veiller au respect de cette responsabilité.
Cependant, en matière d’EIDH, la pratique actuelle recouvre une grande diversité en termes d’approches, de normes et d’efficacité. Le guide sur les études d’impact sur les droits humains (“Handbook on Human Rights Impact Assessment”) qui analyse les EIDH dans le domaine des affaires et des droits humains rappelle que les EIDH ne devraient pas être considérées comme contribuant automatiquement à une meilleure responsabilisation des entreprises. Il est, au contraire, essentiel de s’assurer que les EIDH servent les intérêts de ceux qui sont censés en bénéficier, à savoir, les détenteurs de droits qui subissent les effets négatifs des activités commerciales.
Les grands défis en matière d’EIDH : la participation, la responsabilité, et l’adaptation sectorielle
En matière d’EIDH, la grande diversité des approches n’empêche pas l’existence de problématiques communes. Une attention toute particulière doit être portée à ces problématiques afin de trouver des solutions permettant de s’assurer que les EIDH apportent une réelle contribution au fait que les entreprises respectent les droits humains. Ceci est d’autant plus vrai que les entreprises s’appuient de plus en plus sur les EIDH et que les nouvelles législations et réglementations font que nous commençons à avoir des attentes communes en matière d’études d’impact.
Le premier défi est celui de la participation. En termes de bonnes pratiques, les EIDH devraient veiller à la participation active des détenteurs de droits affectés par les activités commerciales, de la définition des objectifs et des procédures jusqu’aux résultats de l’évaluation. Cependant, des problèmes récurrents ont été constatés en raison de ressources (temps et budgets) insuffisantes, de l’inadéquation des compétences des équipes qui mènent ces études, ou des difficultés à atteindre les détenteurs de droits concernés. Sur ce point, les approches communautaires peuvent clairement être une source d’enseignements pour les études d’impact initiées par les entreprises.
Les EIDH ne devraient pas être considérées comme contribuant automatiquement à une meilleure responsabilisation des entreprises.
Les études d’impact initiées par les entreprises sont menées pour les entreprises, dans le cadre de la diligence raisonnable en matière de droits humains, tandis que les études à l’échelle communautaire sont initiées et menées par la société civile, pour les communautés affectées. Les méthodologies des études à l’échelle communautaire donnent souvent plus d'importance à la participation en tant qu’élément central de l’étude d’impact. Ainsi, les études d’impact initiées par les entreprises peuvent s’appuyer sur les outils et les méthodes spécifiques utilisés dans les EIDH communautaires pour améliorer la participation des détenteurs de droits. Une approche collaborative, avec les entreprises et les populations locales qui travaillent, dès le départ, ensemble à la réalisation de l’EIDH, peut également être envisagée.
Le second défi est celui de la responsabilité. Les différentes approches d’EIDH font toutes ressortir un élément essentiel : la difficulté à contraindre les détenteurs d’obligations à prendre des mesures. Combattre les effets négatifs sur les droits humains relève de la responsabilité de ces détenteurs d’obligations (notamment les gouvernements ou les entreprises). Par exemple, dans le cas des EIDH menées à l’initiative des entreprises, c’est le bon vouloir de ces entreprises qui en est généralement à l’origine et non pas la coercition.
Dans le cas des études à l’échelle communautaire, si l’enthousiasme des détenteurs d’obligations n’est que très modéré, les recommandations adressées aux entreprises et aux pouvoirs publics peuvent alors être difficiles à mettre en œuvre. Des solutions sont cependant possibles. Par exemple, les évolutions législatives et réglementaires, notamment sur la diligence raisonnable obligatoire en matière de droits humains, l'esclavage moderne, ou les rapports non financiers, influent sur ce que nous attendons des détenteurs d’obligations et peuvent renforcer la cohérence et l’application des normes sur les EIDH.
Le troisième défi porte sur la capacité des EIDH à tenir compte du contexte sectoriel et à s’adapter. L’utilité et l’efficacité des études d’impact en dépend. La pratique des EIDH a été principalement façonnée par l’évaluation d’activités « de projet », par exemple, un site minier, une activité agricole ou une usine. Ainsi, une réflexion plus poussée doit être menée pour évaluer si les méthodologies des EIDH sont adaptées, et donc pleinement applicables, aux activités commerciales caractérisées par des réalités opérationnelles différentes, comme dans le cas des produits alimentaires et des boissons, ou du prêt-à-porter, qui sont des secteurs avec une chaîne d’approvisionnement complexe ou dans le cas des technologies de l’information et de la communication (TIC) ou du tourisme qui sont fortement globalisées. Les EIDH peuvent identifier des problèmes spécifiques dans des situations données et concevoir des mesures concrètes afin d’y répondre. Cependant, les acteurs qui prennent part à la réalisation des EIDH doivent également évaluer attentivement ce que peuvent, et ne peuvent pas, faire les EIDH pour résoudre les problèmes de droits humains qui existent dans certains modèles économiques et reconnaître que favoriser un changement plus systémique implique de dépasser le cadre d’une seule étude d’impact.
Pour faciliter un changement plus systémique, une approche sectorielle tenant compte des effets cumulatifs et du cadre législatif et réglementaire de l’ensemble d’un secteur d’activité peut s’avérer prometteuse. Les études de l'impact des accords commerciaux sur les droits humains (portant sur la conformité avec les droits humains de la négociation et du contenu final des accords commerciaux) peuvent également jouer un rôle similaire, sous réserve que ces évaluations soient dynamiques et véritablement centrées sur les droits humains et que les recommandations émises soient mises en œuvre.
Le futur des EIDH
Les EIDH étant une pratique nouvelle, des observations critiques sont nécessaires pour identifier et résoudre les problématiques et faire progresser la théorie ainsi que la pratique. En même temps, il est utile de réfléchir sur les aspects des EIDH qui démontrent clairement la valeur ajoutée de cette méthodologie lorsqu’il s’agit de favoriser le comportement responsable des entreprises. Par exemple, lorsque la mise en œuvre est adéquate, les EIDH peuvent améliorer la capacité des détenteurs de droits à comprendre leurs droits et à les revendiquer ; permettre aux entreprises de comprendre l’impact en matière de droits humains et de trouver des solutions dans un contexte spécifique, ainsi que de transmettre le savoir acquis à d’autres entreprises ou secteurs d’activité ; contribuer à la réforme de la gouvernance dans l’ensemble d’un secteur en éclairant les réformes législatives et réglementaires ; et expliciter en quoi la négociation et le contenu d’un accord commercial concernent les droits humains et donc faciliter une meilleure prise de décision pour définir des règles commerciales qui créent un environnement propice à la réalisation des droits humains.