La prise en compte des droits de l’homme dans la politique en matière de changement climatique : un verre à moitié plein

En décembre de cette année, les gouvernements du monde entier vont se réunir à Paris pour s’accorder sur un nouveau traité contraignant visant à stopper, et au final à inverser, le changement climatique mondial. La 21ème Conférence des parties à la Convention-cadre des Nations-Unies sur le changement climatique (CCNUCC), connue sous le nom de COP21, est l’une des conférences environnementale les plus importantes de tous les temps. Mais, comme l’affirme un nouveau rapport de Universal Rights Group, c’est également l’un des rassemblements les plus importants dans le domaine des droits de l’homme depuis plus d’un demi-siècle.

La capacité des États à atteindre, ou non, un nouvel accord mondial ambitieux à Paris aura un impact déterminant sur la vie, les perspectives, les espoirs, la dignité et les droits de millions de personnes dans le monde.

Les conséquences du changement climatique sur la jouissance des droits de l’homme ont été prises en compte et reconnues par les Nations Unies à de nombreuses occasions. La communauté internationale a également à plusieurs reprises appelé à ce que les principes des droits de l’homme soient intégrés dans les réponses politiques mondiales en matière de changement climatique, afin de renforcer ces réponses, de faire en sorte qu’elles tiennent davantage compte des besoins des populations vulnérables et qu’elles leurs soient davantage redevables.

Les conséquences du changement climatique sur la jouissance des droits de l’homme ont été prises en compte et reconnues par les Nations Unies à de nombreuses occasions.

En dépit de ces étapes, Stephen Humphreys, dans un récent article pour Open Democracy, a conclu que, lorsqu’il s’agit du changement climatique, « … les lois relatives aux droits de l’homme ainsi que les avocats, et en fait l’ensemble du mouvement des droits de l’homme, a peu de choses utiles à dire et aucun rôle évident à jouer. »

Alors que cette appréciation morose est surprenante, en particulier venant de quelqu’un qui a joué un rôle de premier plan dans le débat sur les droits de l’homme et le changement climatique pendant presque une décennie, il est facile de voir pourquoi Stephen a développé un certain nombre de doutes.

La triste vérité est que les progrès initiaux rapides (de 2007 à 2011) en terme de progrès et d’influence de l’agenda portant sur « les droits de l’homme et le changement climatique » se sont arrêtés après la COP16 à Cancun. De fin 2011 à fin 2014, peu ou aucun progrès n’a été fait dans l’utilisation des préoccupations relatives aux droits de l’homme pour générer une ambition plus forte dans les pourparlers de la CCNUCC ou dans l’intégration des obligations et des principes relatifs aux droits de l’homme dans les politiques (internationales et nationales) sur le changement climatique.

Alors, cela signifie-t-il que la communauté internationale des droits de l’homme a « peu de choses utiles à dire et aucun rôle évident à jouer ? ».

La réponse à cette question dépend des attentes sur le rôle du système international des droits de l’homme.

Bien sûr, le Conseil des droits de l’homme de l’ONU et ses mécanismes ne peuvent pas résoudre la crise climatique contemporaine. Mais elles ne le devraient également pas : ce n’est ni leur responsabilité ni leur mandat dans le système onusien.  Le mandat du Conseil, tel que défini dans la résolution 60/251 de l’AG, est de ‘généraliser’ les droits de l’homme à travers les autres institutions, mandats et  politiques au sein de l’ONU et non pas de phagocyter ces mandats ou de prendre le contrôle de ces politiques.

Le Conseil a entrepris de satisfaire à son mandat en mars 2008 avec sa première résolution sur les droits de l’homme et le changement climatique (résolution 7/23). Son objectif était de démontrer que le changement climatique avait des implications négatives sur les droits de l’homme (ce qui n’allait pas de soi à l’époque) ; de définir la nature de ces implications (p.ex. quels droits, quels groupes au sein de la population sont les plus touchés) ; et d’exhorter les parties pertinentes du système onusien à prendre en compte les droits de l’homme lors de l’élaboration des réponses politiques.

Au regard de ces objectifs, l’évaluation de la performance du système international des droits de l’homme peut être vue sous un angle plus positif.  

Lentement mais sûrement, et en se basant sur les accords de Cancun, les droits de l’homme sont pris en compte dans les négociations, les processus et les politiques portant sur le changement climatique.


Flickr/United Nations Photo (Some rights reserved)

The 2010 United Nations Climate Change Conference in Cancún.


Les communications nationales (rapports nationaux) au titre de la CCNUCC en sont un exemple. Un récent rapport de la Fondation Mary Robinson, Climate Justice (MRFCJ), a conclut que, parmi les pays ayant soumis les communications nationales et les plans d’action et d’adaptation nationaux, 49 avaient explicitement fait référence aux droits de l’homme (dont un grand nombre de ceux qui avaient coparrainé la résolution 7/23 du Conseil).

Alors que le monde tourne son regard vers la COP21 à Paris, il y a, de plus, des signes d’un nouvel élan en faveur de la prise en compte des droits de l’homme dans la politique climatique internationale.

Un certain nombre d’acteurs ont pris des mesures pour s’appuyer sur le discours des droits de l’homme afin d’insister sur l’urgence et d’appeler à plus d’ambition dans les négociations sur le changement climatique, et pour intégrer plus solidement les principes et les obligations des droits de l’homme dans la politique climatique internationale et nationale. En octobre et en décembre 2014, plus d’une douzaine de titulaires de mandats au titre des procédures spéciales de l’ONU ont publié des déclarations communes appelant les États à intégrer et à tenir compte des obligations relatives aux droits de l’homme dans les actions sur le changement climatique.    

En février 2015, le gouvernement du Costa Rica a lancé l'engagement de Genève pour les droits de l’homme dans l'action climatique. Les signataires de l’engagement de Genève se sont engagés à « permettre une collaboration efficace entre nos représentants nationaux dans ces deux processus [c.-à-d. la CCNUCC et le Conseil] pour améliorer notre compréhension de comment les obligations relatives aux droits de l’homme contribuent le mieux à l’action climatique ». Peu après, un représentant de la France, qui va assurer la présidence de la COP, a lancé un appel en faveur de l’intégration des droits de l’homme dans les négociations de Paris afin d’arriver à « un accord ambitieux et équitable » à la COP21.

L’ancien Haut Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, Mary Robinson, a présenté trois propositions concrètes pour renforcer la prise en compte :

  1. La création d’un forum dans le cadre de la CCNUCC et du Conseil pour permettre aux personnes impliquées dans les droits de l’homme et le changement climatique de partager des exemples ainsi que les bonnes pratiques (en s’appuyant sur l’engagement de Genève) ;

  2. Le développement de lignes directrices par la communauté des droits de l’homme sur la manière d’intégrer les obligations, les normes et les principes liés aux droits de l’homme dans la politique climatique (c.-à-d. comment rendre une approche fondée sur les droits opérationnelle) ; et

  3. Les États devraient inclure l’examen des liens entre les droits de l’homme et le changement climatique dans leurs rapports envoyés au Conseil des droits de l’homme (c.-à-d. l’EPU) et dans leurs comptes-rendus au titre de la CCNUCC (c.-à-d. les communications nationales).

Une initiative récente et prometteuse fut la décision du Conseil des droits de l’homme de renouveler et de renforcer le mandat du Rapporteur spécial sur les droits de l’homme et l’environnement. Dans un premier signal de son intention d’utiliser son rôle pour aider à promouvoir une ambition plus forte à Paris, le Rapporteur spécial a initié, en avril 2015, une déclaration commune, regroupant 14 titulaires de mandats au titre des procédures spéciales, s’adressant à la COP et à la CCNUCC et portant sur les implications potentielles pour les droits de l’homme d’une augmentation de 2°c ou de 1,5°c des températures mondiales moyennes.

Ces mesures sont, bien entendu, relativement modestes par rapport à l’ampleur considérable des défis posés par le changement climatique en terme de droits de l’homme. Mais cela ne veut pas dire que la communauté internationale ne devrait pas continuer sur cette voie. Il demeure extrêmement important pour les décideurs politiques internationaux en matière de changement climatique, quand ils se réunissent à Paris plus tard cette année, de comprendre les implications sur les droits de l’homme des décisions qu’ils sont appelés à prendre, en particulier pour les membres les plus vulnérables de la société. Et il demeure important pour les États de mettre en œuvre les accords scellés à Paris d’une manière qui soit cohérente avec leurs obligations internationales en matière de droits de l’homme. Cela vaut toujours la peine de se battre pour ces objectifs.