De nombreux universitaires et critiques ont abordé le sujet de la dépendance financière de l’Union africaine (UA) à l’égard des partenaires extérieurs. Comme l'a dit Oyoo Sungu : « L’UA aboie très fort mais ne mord que faiblement. C’est parce qu’il lui reste à devenir indépendante financièrement et, à terme, politiquement ». Qui contrôle vraiment l’ordre du jour au sein de l’UA et surtout, ses organes de protection des droits humains, comme la Commission Africaine des droits de l'homme et des peuples (CADHP), la Cour Africaine des droits de l'homme et des peuples (CAfDHP), et le Comité africain d'experts sur les droits et le bien-être de l'enfant (CAEDBE) ?
Si les organes de protection des droits humains reçoivent de l’argent de l’UA pour leur fonctionnement, leurs programmes ne sont que faiblement financés. Par exemple, le budget 2016 de fonctionnement de la CAfDHP était financé par les États membres alors que les programmes étaient financés à 100 % par des partenaires donateurs.
Pour remédier à ce problème, Olusegun Obasanjo, l’ancien président nigérian, avait proposéa, en 2011, de mobiliser des fonds par le biais d'une taxe sur les billets d’avion, les SMS et les nuits d’hôtel. Cependant, les pays pour lesquels le tourisme constitue la principale source de revenus avaient critiquéèrent le fait que cette proposition se focalise sur le secteur du tourisme tout en laissant de côté les secteurs pétroliers et miniers. Depuis lors, l’UA a pris plusieurs décisions pour avancer sur la voie de l’indépendance financière. Par exemple, pendant le sommet des chefs d’États et de gouvernement de janvier 2015, les dirigeants ont pris des décisions sur le rapport sur les sources alternatives de financement de l’Union africaine et ont souligné la nécessité d’un barème approprié pour les contributions des États membres. Au final, les dirigeants ont décidé que : a) les États membres financeraient le budget opérationnel à hauteur de 100 % ; b) les États membres financeraient le budget programmatique à hauteur de 75 % ; c) les États membres financeraient le budget opérationnel de soutien à la paix à hauteur de 25 %.
La dépendance à l’égard des partenaires extérieurs et le non-paiement par les États de leur contribution ne font que renforcer l’image d’une UA faible et ne définissant.
Le sommet des chefs d'États et de gouvernement de juillet 2016 a également débouché sur des décisions concrètes sur la manière d’aller de l’avant. Ils ont pris note du rapport de Donald Kaberuka (ancien président de la Banque africaine de développement [BAD]) et le nommèrent Haut représentant pour le Fonds de la paix de l'UA qui a pour but de financer la médiation et la diplomatie préventive, la capacité institutionnelle et les opérations de maintien de la paix. Ils ont également confié à Paul Kagame, président de la République du Rwanda, l’élaboration d’un rapport sur la réforme institutionnelle de l’UA. Le rapport rappela notamment aux 54 États membres africains que seulement 25 d’entre eux avaient réglé l’intégralité de leur quote-part pour l’exercice 2016.
La dépendance à l’égard des partenaires extérieurs et le non-paiement par les États de leur contribution ne font que renforcer l’image d’une UA faible et ne définissant pas son propre programme. Le rapport de Kagame recommande notamment que le barème actuel des quotes-parts des États membres soit revu sur la base d’autres critères comme la capacité à payer, la solidarité, et le partage équitable de la charge. Mais surtout, il propose que les sanctions à l’encontre des États membres qui manquent à leurs obligations en ne payant pas leur contribution soit revues et renforcées.
Il n’est dès lors pas surprenant de voir le Rwanda diriger la mise en œuvre de la nouvelle taxe de 0,2 % sur les biens importés pour financer l’Union. En février 2017, les membres du parlement rwandais ont approuvé un projet de loi qui, s’il est adopté, aidera le gouvernement rwandais à collecter 1,5 milliard de francs rwandais par an pour aider l’UA. Si les 54 autres États membres africains font de même, la probabilité d’atteindre l’autofinancement est importante.
Néanmoins, l’affectation des fonds provenant de cette taxe de 0,2 % n’est pas encore clairement définie. Les Directives 2016 indiquent que la taxe de 0,2 % sera instituée afin de financer 100 % du budget opérationnel de l’UA, 75 % du budget des programmes, 25 % des opérations de soutien à la paix et du Fonds de la paix. Cependant, les organes de protection des droits humains sont complètement laissés de côté. Bien que 75 % des programmes seront financés par cette taxe, il n’est fait aucune mention de la CADHP, de la CAfDHP ou du CAEDBE. Les détails explicatifs soulignent plutôt le besoin de fonds pour les urgences politiques ou sociales comme l’Ebola, le changement climatique et les migrations. Bien que ces questions soient très importantes et nécessitent des réponses spécifiques de la part des États membres africains, les organes de protection des droits humains de l’UA ont également besoin d’être renforcés.
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During the July 2016 Summit, the leaders declared the next ten years as “the Human and Peoples’ Rights Decade in Africa”. Three AU human rights institutions are developing the African Human Rights Action and Implementation Plan 2017-26.
Surtout, au cours du sommet de juillet 2016, les dirigeants ont déclarédéclarèrent les dix prochaines années comme « la décennie des droits humains et des peuples en Afrique ». Les trois principaux organes de protection des droits humains de l’UA, de concert avec l'Union panafricaine des avocats (UPA), sont en train de développer le Plan d'action 2017-2026 pour les droits de l'homme en Afrique. Mais la question demeure pour ce qui est de savoir d’où proviendra l’argent afin de développer ce plan d’action et comment être sûr que suffisamment de fonds seront dédiés à sa mise en œuvre.
Le fait que le budget programmatique des organes de protection des droits humains soit financé par des partenaires extérieurs génère un manque de flexibilité handicapant au sein de l’UA. La prééminence des donateurs fait qu’il est difficile pour l’UA de piloter et décider des programmes et domaines qui devraient, ou non, être prioritaires, amenant à la question cruciale des priorités pour l’Afrique. Alors que la paix et la sécurité sur le continent sont impératifs pour la croissance économique et le développement social, ainsi que pour les droits des citoyens africains de vivre en paix et dans la dignité, nous oublions souvent que les violations des droits humains sont généralement la première étape d’une chaîne d’événements aboutissant à la violence et aux conflits. Par conséquent, promouvoir et protéger les droits humains et des peuples est la première étape sur la voie de la démocratie, de la bonne gouvernance ainsi que de la paix et de la sécurité. Les violations des droits humains ont des origines multiples, comme la corruption, les flux financiers illicites, les trafics, et le blanchiment d’argent. Investir dans les droits humains revient à investir dans le développement économique et social du continent. Par exemple, l'Afrique détient 12 % des réserves mondiales de pétrole, 8 % du gaz naturel, environ 30 % des réserves mondiales de minéraux et 600 millions d’hectares de terres arables non cultivées, soit 60 % du total mondial. Mais, sur la scène internationale, le pouvoir de négociation du continent avec les partenaires extérieurs est faible et surtout, l’Afrique ne peut pas protéger fortement les droits de ses citoyens lorsque ces derniers sont expulsés de force de leurs terres. Les droits humains font partie d’un ensemble bien plus vaste, et la situation actuelle empêche l’Afrique de se développer aussi vite que cela devrait être le cas.
Bien que le cadre des droits humains dont dispose l’Afrique soit le plus exhaustif au monde, couvrant les droits humains en général mais également les droits des peuples, des femmes, des handicapés et des enfants, les États membres africains font peu d’efforts afin de ratifier les instruments juridiques pertinents de l’UA et de contribuer au développement des droits humains sur le continent. Les mots sont au rendez-vous mais les actions ne suivent pas. L’UA doit donner une plus grande priorité, et allouer plus de fonds, au financement des institutions des droits humains, renforçant ainsi leur crédibilité et leur permettant d’obtenir des résultats plus probants.