Les membres des organes de suivi des traités onusiens relatifs aux droits de l’homme ont récemment été informés qu’en raison de coupes budgétaires, ils ne pourraient pas se réunir comme d’habitude pour leurs sessions d’automne, ces dernières allant être annulées. Les dix organes de suivi des traités furent également informés qu’ils devaient s’attendre à ce que les prochains budgets onusiens soient dotés de ressources moindres plutôt que supplémentaires. Ces organes, dont les membres se rencontrent deux ou trois fois par an, pour une durée totale d’environ huit à dix semaines, font déjà face à des problématiques fortes dans leur travail visant à contrôler le respect par les États de leurs obligations dans le cadre des traités. Ils arrivent tout juste à s’occuper des rapports soumis par les États, même si 80 % de ces rapports sont soumis en retard. Si les États soumettaient leurs rapports dans les délais impartis, les organes de suivi des traités seraient débordés. Cependant, au fil des années, leurs demandes de ressources supplémentaires se sont heurtées à l’indifférence.
En fin de compte, les efforts acharnés de l’actuelle Haute-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme ont poussé le Secrétaire général des Nations Unies à trouver les financements permettant de maintenir les sessions d’automne des organes de suivi des traités. Mais, à long terme, la menace de coupes budgétaires demeure, sans aucune perspective de nouvelles ressources permettant de supprimer les retards qui ne vont faire que s’empirer. Cette crise, qui couve depuis longtemps, survient juste au moment où l’Assemblée générale des Nations Unies a prévu en 2020 de traiter de la question de la réforme du système des organes conventionnels, ce qui est une première depuis 2014, alors que j’arrivais à l’époque au terme de mon mandat en tant que Haute-Commissaire. L’examen mené en 2014 avait débouché sur des réformes limitées avec pour but de renforcer l’efficience du système mais mes propositions visant à le rendre plus efficace sont restées largement ignorées. Nous ne pouvons pas laisser cela se produire à nouveau.
Les organes de suivi des traités font bouger les choses, et elles pourraient même être plus efficaces en cas de mise en œuvre des mesures visant à rationaliser et harmoniser leurs efforts.
Le travail des organes onusiens de suivi des traités sur les droits de l’homme peut sembler abstrait, évoquant des experts enfermés dans des salles de réunion de l’ONU pour se plonger dans des rapports de nature juridique. Ceci dit, leur examen minutieux des rapports soumis par les États, leur avis sur des affaires spécifiques, et leurs conseils d’ordre général sur la meilleure manière d’appliquer et d’interpréter les traités relatifs aux droits de l’homme, ont de profondes conséquences dans le monde réel. Le travail de ces organes de suivi des traités a permis de mener à bien des réformes juridiques dans des dizaines de pays, d’aider des victimes dans des centaines d’affaires, et de persuader des gouvernements de mettre en œuvre des politiques en faveur des droits de l’homme au cours de ces 40 dernières années. Les droits des femmes et des enfants ont considérablement progressé grâce au travail des Comités qui assurent le suivi de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes et de la Convention relative aux droits de l’enfant. Le travail des organes de suivi des traités a renforcé l’interdiction, à l’échelle mondiale, de la torture et le consensus contre la peine de mort. Les droits des personnes handicapées et des migrants gagnent également en reconnaissance grâce au travail de ces organes, tout comme les droits des personnes LGBTQI.
En tant que Haute-Commissaire, j’ai vu, au cours de mes visites dans des dizaines de pays et de mes contacts fréquents avec les gouvernements, le rôle important, car souvent unique, joué par les organes de suivi des traités pour ce qui est d’encourager les réformes relatives aux droits de l’homme. Alors que l’ONU, les gouvernements et les organisations de la société civile adoptent de plus en plus souvent des approches fondées sur les droits au développement et la lutte contre la pauvreté, les recommandations des organes de suivi des traités faites pour chaque pays fournissent un cadre directeur pour leurs efforts. Je vois également souvent comment les organisations locales de défense des droits de l’homme s’appuient sur les recommandations et les conseils des organes onusiens de suivi des traités afin de renforcer la légitimité et l’impact de leurs campagnes en faveur des réformes.
Les organes de suivi des traités font bouger les choses, et elles pourraient même être plus efficaces en cas de mise en œuvre des mesures visant à rationaliser et harmoniser leurs efforts, à donner plus de visibilité à leur travail, à les mettre davantage directement en contact, sur le terrain, avec les réformateurs issus de la société civile et des gouvernements, et à garantir un suivi adapté de leurs recommandations.
Alors que de nouveaux traités relatifs aux droits de l’homme sont en cours de négociation, allons-nous simplement continuer à créer de nouveaux organes de suivi ?
Il existe actuellement dix organes onusiens de suivi des traités relatifs aux droits de l’homme et de nombreux États doivent (en raison de leur ratification de plusieurs traités) envoyer régulièrement des rapports à plusieurs d’entre eux. Les redondances sont considérables, non seulement concernant les rapports devant être soumis par les États mais également dans les réformes recommandées par les organes de suivi des traités. Des mesures afin de rationaliser les rapports ont été mises en œuvre mais bien plus pourrait être fait. Les présidents des organes de suivi des traités ont récemment annoncé une nouvelle vision pour un « système de suivi plus fort et plus simple », ce qui représente un pas dans la bonne direction.
Un certain nombre d’idées existent, notamment la création d’un seul organe unifié, ou l’idée suggérée dans mon propre rapport que le bilan d’un État soit revu par tous les organes pertinents de suivi des traités à un moment donné et prévisible. La nécessité pour un pays de soumettre un rapport à un nombre de comités de droits de l’homme pouvant aller jusqu’à 10, sans coordination ni prévisibilité, n’a tout simplement aucun sens. Alors que de nouveaux traités relatifs aux droits de l’homme sont en cours de négociation, allons-nous simplement continuer à créer de nouveaux organes de suivi ? Cette redondance et cette duplication des efforts génèrent des retards et le système n’est tout simplement pas conçu pour absorber un nombre encore plus important de rapports. Une meilleure méthode s’impose.
Les séances des organes de suivi des traités sont aujourd’hui accessibles en diffusion web mais l’impact de leur travail seraient encore plus important s’ils pouvaient se réunir dans les pays qui font l’objet de l’examen, ou au moins dans la sous-région concernée. Et sans ressources additionnelles (soit de nouveaux fonds, soit des fonds libérés grâce à la rationalisation), les comités ne peuvent pas consacrer le temps nécessaire au suivi des États sur les recommandations adressées précédemment.
Les initiatives de réforme, y compris celle que j’ai dirigée de 2012 à 2014, ont vu certains États s’y opposer et de nombreux autres les soutenir trop faiblement. Je crois, néanmoins, que ces obstacles sont surmontables. La proposition de présidence d’organes de suivi des traités constitue une évolution majeure qui a besoin de soutien politique. Si un petit nombre d’États jouait un rôle moteur sur cette question, je suis certaine que des dizaines d’autres leur emboîterait le pas, aux côtés d’une coalition large et mondiale de la société civile. Les ONG locales dans de nombreux pays ont une expérience directe du rôle bénéfique joué par les organes de suivi des traités et veulent voir leur visibilité et leur efficacité renforcées.
De plus, je ne pense pas que la grande majorité des États qui ont volontairement rejoint le système de suivi des traités par les organes conventionnels souhaitent son échec. Réformer pourrait déboucher sur un système de production de rapports moins fastidieux et plus apte à conseiller les États sur les réformes, un résultat qui serait salué par tous.