Les violences sexuelles sur les campus universitaires n’ont pas fait l’objet du même niveau d’attention, dans le domaine des politiques et de la réflexion, que ce qui est le cas dans les autres domaines, publics et privés, où s’exercent les violences sexistes. Le récent documentaire Sex for Grades souligne combien ces violations peuvent être insidieuses ainsi que leur coût pour les victimes qui vont à l’université, au Nigeria et au Ghana. Les éducateurs, les chercheurs et les juristes de l’université du Minnesota ont formé un partenariat avec une ONG éthiopienne de défense des droits afin d’appréhender les violences sexuelles au sein des établissements d’enseignement supérieur et identifier comment prévenir et intervenir plus efficacement, avec le corps enseignant, le personnel et les étudiants pour lutter contre ces violences.
Notre approche a consisté à mener un travail de recherche, de plaidoyer et de sensibilisation qui s’est déroulé à l’extérieur de l’enceinte de l’institution afin d’optimiser notre impact en son sein. Lors de notre étude, le récit des femmes fréquentant l’université a mis en exergue l’existence de mécanismes organisationnels qui protègent les membres du corps enseignant, le manque de soutien en faveur des étudiantes qui signalent des faits de harcèlement sexuel et de violence, et une culture du silence qui accepte la banalisation du harcèlement sexuel. Pour cette raison, la création d’un partenariat avec une organisation d’aide juridique et de défense des droits pourrait aider à répondre à la nécessité de protéger les droits des femmes et à plaider en faveur de changements institutionnels sur les campus.
Helina, une étudiante en droit d’une zone rurale en Éthiopie, a été victime de violences sexuelles lorsqu’elle était étudiante en première année. Un étudiant de l’université, qui la harcelait depuis un certain temps, tenta de lui parler et de lui prendre la main sans qu’elle n’y consente, près de l’entrée principale du campus. Helina avait peur de ce que pouvait faire cet harceleur. Surpassant ses craintes, elle lui dit qu’il ne pouvait pas lui parler sans qu’elle n’y consente. Il la menaça alors de la poignarder. Malgré sa peur, elle n’avertit personne à l’université car elle pensait qu’elle n’obtiendrait aucune aide. Elle avait également le sentiment que signaler son comportement aux autorités universitaires la rendrait encore plus vulnérable face aux représailles du harceleur. Même si la loi apporte une protection contre ce type de harcèlement et de violence, les étudiantes choisissent souvent, par peur des conséquences, de ne pas signaler les faits. Ces formes de violence empêchent les étudiantes de travailler sereinement et peuvent même les pousser à renoncer à l’université.
Malgré une sensibilisation accrue sur les violences sexuelles en Éthiopie, la culture du silence perdure. Une autre étudiante universitaire, Fatuma, expliqua qu’elle tenta de résister avant de finir par se résoudre à accepter la culture du silence. Au début, elle prenait à partie ceux qui l’insultaient ou qui la sifflaient ou adressaient des commentaires de nature sexuelle lorsqu’elle marchait sur le campus. Ses amis lui dirent de « se détendre car c’est normal ». Ce qui la contrariait et l’amenait à se demander si c’était sa faute. Elle finit par accepter ce qui lui arrivait comme étant « normal ». Malheureusement, comme le montre l’absence de tout organe indépendant dédié à l’examen des allégations de violences sexuelles, les universités n’agissent que très peu pour lutter efficacement contre les causes des violences sexuelles sur leur campus.
Malgré une sensibilisation accrue sur les violences sexuelles en Éthiopie, la culture du silence perdure.
Pour lutter contre le harcèlement sexuel dont sont victimes des étudiantes universitaires comme Helina and Fatuma, nous avons conçu une étude pouvant apporter un certain nombre de réponses aux politiques et aux pratiques. Ce travail a été mené en collaboration avec le bureau de Dire Dawa de l’Association des femmes juristes éthiopiennes (EWLA), une association à but non lucratif dédiée à la défense des droits des femmes qui a été fondée en 1996. Cette conception collaborative nous a permis d’identifier des solutions considérées par les victimes comme pouvant œuvrer en faveur des droits des étudiantes universitaires en Éthiopie.
Premièrement, il est important de documenter ce que vivent les femmes ainsi que leur point de vue afin de mettre en lumière les lacunes actuelles dans le droit et les protections. De nombreuses étudiantes ayant participé à notre recherche ont signalé que le fait de prendre la main d’une femme sans son consentement, les attouchements sur les parties intimes, les insultes et les sifflets et commentaires de nature sexuelle font partie des formes les plus courantes de harcèlement sexuel à l’université. Le droit ne reconnaît pas ces formes diverses de harcèlement comme des violences sexuelles, étroitement définies comme un viol ou une agression sexuelle caractérisé par un contact physique (voir l’Article 620 - 628 du Code pénal éthiopien).
Ces autres formes de violences sexuelles, notamment les intimidations et le harcèlement, sont très fréquentes et ne sont que rarement signalées, ou n’entrent généralement pas dans le cadre d’actions de prévention, comme le montre l’histoire d’Helina. Par conséquent, ce manque de sanctions et de signalement renforce la culture du silence. L’étude que nous avec mené avec EWLA renforce leur travail de plaidoyer en faveur d’un cadre juridique national qui reconnaisse les formes multiples de harcèlement sexuel.
Deuxièmement, nous utilisons les conclusions de l’étude pour apporter des informations pouvant être utilisées dans le cadre des programmes et des actions de plaidoyer de l’organisation. Depuis des années, EWLA a mis en œuvre un programme d’éducation du public qui portent notamment sur la sensibilisation sur les différentes formes de harcèlement sexuel et l’existence de mesures de protection. Malgré ces ressources, de nombreuses étudiantes, en particulier celles qui viennent d’autres régions, ne connaissent pas ces protections. Par exemple, Zoé, une étudiante en quatrième année, expliqua que la plupart des étudiantes ne saisissent pas les tribunaux ou l’administration universitaire car elles ne savent pas où aller, et elle ne se sentent pas en sécurité à l’idée de rester sur le campus si elles intentent une action contre les auteurs de ces faits. Zoé a insisté sur l’importance des programmes de sensibilisation pour que les étudiantes se sentent beaucoup plus confiantes à l’idée de signaler les faits et qu’elles comprennent mieux les protections dont elles peuvent bénéficier.
Cette conception collaborative nous a permis d’identifier des solutions considérées par les victimes comme pouvant œuvrer en faveur des droits des étudiantes universitaires en Éthiopie.
Les étudiantes universitaires ont besoin de cette information avant de faire leur entrée au sein des établissement d’enseignement supérieur afin d’être mieux sensibilisées aux formes de harcèlement sexuel et de la manière dont elles peuvent y répondre. Mais ces programmes éducatifs ne devraient pas cibler uniquement les étudiantes. De nombreuses recherches montrent que les formations sur l’intervention des témoins, qui mobilise les hommes et les garçons en tant qu’alliés œuvrant à la résolution des violences sexuelles, est plus efficace pour combattre les causes profondes de ces formes de harcèlement et pour amener au changement de comportement désiré.
Enfin, sur la base de notre recherche, EWLA travaille à développer des formations, menées séparément et conjointement sur les droits des femmes, les violences sexuelles et le harcèlement, ainsi que des formations axées sur l’autonomisation. EWLA désire également collaborer avec le bureau de l’université pour l’égalité des sexes afin de développer une politique universitaire sur l’inconduite sexuelle et ouvrir un centre pour les étudiantes où elles pourraient obtenir des conseils juridiques gratuits et signaler toute forme de violences sexuelles. Apporter un soutien financier et matériel aux femmes et aux filles est une autre approche envisagée par EWLA car les jeunes femmes de foyers financièrement désavantagés sont plus exposées au risque de harcèlement sexuel.
Si les universités éthiopiennes ont pris un certain nombre de mesures, comme la mise en place d’espaces distincts pour les femmes et pour les hommes au sein de la bibliothèque centrale, ces actions sont souvent très limitées. Ces mesures visent à réduire les cas de harcèlement mais elles ne changent pas le système sous-jacent qui permet aux violences de persister ou qui favorise la culture du silence. L’autonomie dont bénéficient les universités, et les différences de pouvoir entre les enseignants et les étudiants, peuvent entraver le changement. Par conséquent, il est nécessaire que les organisations et les groupes extérieurs exercent une pression afin de changer le système actuel au sein des universités. Par exemple, les femmes ayant participé à notre étude ont recommandé d’avoir un groupe indépendant, situé à l’extérieur des limites de l’université, qui examine les violences sexuelles afin de prendre des mesures de protection.
Instaurer une collaboration avec des organisations militantes locales, comme avec EWLA, aide à résoudre ces lacunes institutionnelles en proposant un code de conduite de l’étudiant qui reconnaisse les différentes formes de harcèlement sexuel, en organisation des formations sur le harcèlement sexuel ainsi que des ateliers de sensibilisation à destination des étudiants et du corps enseignant, et enfin, en fournissant des conseils juridiques et en représentant les victimes de violences sexuelles. Ces stratégies nous permettent de sensibiliser sur le harcèlement sexuel qui peut se produire au sein, ou en dehors, du campus et à trouver des moyens de le réduire progressivement.