La pandémie du Covid-19 entraîne un nombre considérable de malades, de morts et une immense détresse et va continuer de bouleverser gravement le monde. En fin de compte, cette pandémie constitue une menace colossale à la jouissance des droits humains dans le monde entier. Pour de nombreux observateurs, des milliards de personnes dans le monde voient leurs droits humains (à la santé, à la vie, à l’éducation, au logement, à l’alimentation, au travail, à la libre circulation, à la liberté, et à la liberté de réunion) menacés ou fragilisés par la pandémie et de nombreuses mesures visant à la combattre. Si cela est moins évident, il n’en reste pas moins que les droits humains au développement, à la démocratie, à la protection contre la discrimination et les violences sexistes peuvent également être mis à mal par la pandémie et par les mesures de lutte les plus fréquemment adoptées. Il est encore plus préoccupant de constater que ces dangers et leurs conséquences frappent encore plus fortement les pays du Sud, ainsi que, dans le monde entier, ceux qui se trouvent aux marges de la société pour des raisons économiques ou raciales.
La pandémie a également souligné, de manière saisissante, à quel point les êtres humains et les sociétés sont aujourd’hui étroitement interconnectés et que l’extrême vulnérabilité des uns est profondément liée à celle des autres. Nous avons aujourd’hui pris pleinement conscience du fait qu'une pandémie du Covid-19 « là-bas » est également un problème du Covid-19 « ici même ». Comme l'a récemment relevé Samantha Power, cette pandémie ne sera finie pour personne tant que cela ne sera pas le cas pour tous. Cette réalité montre clairement l’absolue nécessité d’exprimer et de renforcer la solidarité internationale, entre États ainsi qu’entre acteurs non-étatiques, si nous voulons optimiser les droits humains dans le monde. Il n’est tout simplement pas possible de jouir pleinement de « nos » droits humains « ici même » tandis que ceux de la vaste majorité de la population mondiale qui vit « là-bas » sont fragilisés (notamment leurs droits au développement, à la santé, à l’éducation, à l’alimentation, au logement et au travail). Même dans les pays riches du Nord, les droits humains ne peuvent pas être pleinement effectifs pour tous si les droits de certains (les populations autochtones, les pauvres et les minorités raciales) ne sont pas bien mieux respectés que ce n’est le cas aujourd’hui. En matière de droits humains, nous sommes tous étroitement liés les uns aux autres.
Nous avons aujourd’hui pris pleinement conscience du fait que'une pandémie du Covid-19 « là-bas » est également un problème du Covid-19 « ici même ».
Ainsi, une fois que cette pandémie sera « derrière nous », pour que le monde se rapproche de la vision du bien-vivre exprimée dans les textes progressistes relatifs aux droits humains, qui ont été proposés ou acceptés depuis des décennies, la solidarité internationale, imaginée dans le Projet de déclaration sur le droit à la solidarité́ internationale des Nations Unies, doit faire l’objet d’une attention plus forte de la part des États et des acteurs non étatiques et doit être mise en œuvre. Ce projet de déclaration souligne que la solidarité internationale est l’expression d’un esprit d’unité entre les individus, les peuples, les États et les organisations internationales, englobant la communauté d’intérêts, d’objectifs et d’actions et la reconnaissance de droits et besoins différents pour atteindre des objectifs communs.
Pendant la période postpandémique, accorder une importance bien plus forte à la solidarité internationale dans la lutte visant à réaliser pleinement tous les droits humains dans le monde demandera des mesures bien plus ambitieuses que ce qui a été le cas jusqu’à présent. À titre d’exemple ces mesures concrètes peuvent comprendre une coopération internationale efficace afin de garantir un accès libre (ou, tout du moins, abordable) à tous les citoyens du monde à tous les vaccins ou traitements du Covid-19, et ce quel que soit l’endroit où ces derniers ont été mis au point. Ces mesures peuvent également se traduire par des modifications, dans la mesure requise, du droit national et international des brevets afin de garantir cet accès libre (ou, tout du moins, abordable) aux vaccins et aux traitements du Covid-19.
De plus, des réformes structurelles de l’économie internationale sont nécessaires. À ce titre, nous prônons de stopper les sorties nettes de capitaux et d’autres ressources des pays du Sud vers les pays du Nord afin de libérer les moyens de réaliser le droit au développement (durable) des populations (par exemple, en développant les systèmes de santé et d’éducation et en permettant à ceux qui ont faim de se nourrir). Nous demandons l’annulation de la dette des pays pauvres du Sud (ou, a minima, d’élargir fortement les suspensions de dette déjà en place) afin de faciliter le financement de la lutte contre le Covid-19 dans ces pays et d’atténuer la récession économique qui va probablement frapper, plus ou moins durement, la plupart des États après la pandémie. De même, nous exigeons l’annulation (ou au moins la suspension) des sanctions économiques imposées sur les États par certaines superpuissances. Des aides financières et des termes de l’échange plus favorables doivent également être offerts à la grande majorité des pays du Sud.
Il n’est tout simplement pas possible de jouir pleinement de « nos » droits humains « ici même » tandis que ceux de la vaste majorité de la population mondiale qui vit « là-bas » sont fragilisés.
Nous devons également arrêter la marchandisation de la santé et la traiter au contraire pour ce qu’elle est, à savoir un droit humain fondamental, ce qui passe notamment par la mise en place de dispositifs permettant l’accès universel, dans le monde, aux médicaments et aux soins de santé. Un supplément de revenu garanti devrait être versé aux plus vulnérables dans les pays du Nord et du Sud afin de contrer la hausse attendue et massive, pendant et « après » la pandémie, du nombre de chômeurs, de personnes qui souffrent de la faim, de sans-abri et de pauvres.
Les États, au Conseil des droits de l’homme et à l’Assemblée générale des Nations Unies, devraient adopter le Projet de déclaration sur le droit à la solidarité internationale. L’attention portée à l’absolue nécessité de solidarité internationale dans la lutte visant à réaliser les droits humains pour tous s’en verrait renforcée. Ceux qui mènent ce combat pourraient ainsi s’appuyer sur un instrument juridique, à caractère non contraignant, supplémentaire et qui serait essentiel.
Enfin, les États devraient adopter et ratifier le Projet d’instrument juridiquement contraignant sur le droit au développement de l’ONU. En effet, un élément de droit contraignant est absolument nécessaire pour renforcer la responsabilité et mieux influencer les acteurs, étatiques ou non, afin de garantir le droit au développement dans le monde entier. Si le droit au développement n’est pas beaucoup plus effectif, en particulier dans les pays du Sud (un résultat hors de portée en l’absence d’une solidarité internationale grandement renforcée) la situation mondiale des droits humains « après » cette pandémie ne sera pas meilleure qu’elle ne l’est à l’heure actuelle.