Le droit humain à un environnement sain, inscrit dans la législation de plus de 90 pays, gagne du terrain. À titre d’exemple, l’article 14 de la Constitution de l’Équateur affirme que « le droit de la population de vivre dans un environnement sain et équilibré garantissant sa durabilité … est reconnu ». En Inde, la Cour suprême a déterminé que le droit humain à un environnement sain entre dans le champ de la protection constitutionnelle du droit à la vie.
L’intérêt grandissant pour le droit humain à un environnement sain vient à un moment où le monde fait face à des crises environnementales interconnectées comme par exemple le blanchiment et la disparition des récifs de corail, l’extinction des espèces à un rythme qui s’accélère et un changement climatique de plus en plus rapide.
Cependant, comme nombre d’entre nous le constatent, le droit humain à un environnement sain est impossible à réaliser si l’environnement lui-même ne l’est pas. En effet, Klaus Töpfer, qui fut directeur du Programme des Nations unies pour l’environnement, a déclaré que les droits humains, en général, « ne peuvent pas être sécurisés dans un environnement dégradé ou pollué ».
Töpfer explique que « le droit fondamental à la vie est menacé par la dégradation des sols, la déforestation, l’exposition aux produits chimiques toxiques, les déchets toxiques et l’eau contaminée. Les conditions environnementales aident clairement à déterminer dans quelle mesure les populations profitent de leurs droits fondamentaux que sont le droit la vie, à la santé, à une alimentation adéquate, au logement, aux modes de subsistance traditionnels et à la culture ».
Nous constatons ainsi que les droits humains ne peuvent être réalisés en l’absence d’un environnement sain et que le droit à un environnement sain ne peut être considéré séparément des droits humains en général.
Cette année marque le 10e anniversaire de la Constitution de l’Équateur. C’est la première Constitution au monde à consacrer juridiquement les droits de l’environnement. L’article 71 affirme que « La nature, ou Pacha Mama, où se reproduit et se réalise la vie, a le droit à ce que soient intégralement respectés son existence, le maintien et la régénération de ses cycles vitaux, sa structure, ses fonctions et ses processus évolutifs ».
Les dispositions constitutionnelles sur les « droits de la nature » (une première sur le plan du droit national) font passer la nature du statut d’objet de droit à celui de sujet de droit. Par conséquent, en Équateur, la nature n’est plus considérée comme un objet dépourvu de droits juridiques mais comme une entité disposant de droits.
L’histoire des mouvements populaires montre que les droits juridiques ne sont pas fixés indéfiniment. Les personnes réduites en esclavage, les femmes, les enfants, les populations autochtones ont tous été traités comme un objet dépourvu de droits, ou une propriété, dans le cadre de la loi. Il a fallu de grands mouvements populaires pour mettre un terme à l’oppression, pour les faire passer du statut de sans droits à celui de porteurs de droits.
Alors que les menaces environnementales s’intensifient, le droit environnemental conventionnel (fondé sur la nature en tant que propriété) se révèle non seulement inadapté au défi, mais de plus en plus perçu comme faisant partie du problème. La nécessité de changer radicalement la manière dont nous traitons la nature en matière juridique est de plus en plus reconnue.
Aujourd’hui, le droit environnemental repose sur l’idée que la nature est un simple objet et réglemente l’utilisation de cet objet. Tout comme les codes noirs aux États-Unis et ailleurs réglementaient la manière dont les esclaves pouvaient être utilisés, les codes de l’environnement actuels règlementent la manière dont nous pouvons utiliser la nature. Par conséquent, le droit environnemental légalise résolument l’utilisation ou l’exploitation de la nature. Ce qui signifie que le droit environnemental légalise la fracturation hydraulique, l’exploitation minière, la pollution, et autres activités qui nuisent ouvertement à la nature.
Avec l’accentuation de la hausse des températures, de la montée du niveau des eaux maritimes, de la migration des maladies vers les pays du Nord et des autres menaces environnementales, la société civile, et même certains gouvernements, commencent à repenser notre manière de traiter la nature. Cela donne naissance à un nouveau mouvement populaire qui vise à transformer la manière dont la nature est traitée en matière de droit et, au final, la manière dont l’humanité régit ses rapports avec la nature.
Les droits de la nature ont pour la première fois été décrétés, au niveau local, aux États-Unis, en 2006, avec plus de trente lois locales aujourd’hui en place dans 10 états. En 2008, l’Équateur a promulgué sa Constitution, puis, en 2010, les droits de la nature ont été inscrits dans le droit national bolivien. De plus, au cours de ces dernières années, les tribunaux colombiens et indiens, ainsi que le Parlement de la Nouvelle-Zélande, ont reconnu que les rivières, ainsi que d’autres écosystèmes, possèdent certains droits juridiques.
La rapidité de ces évolutions juridiques s’inscrit dans un contexte où l’impact de l’activité humaine sur la biodiversité et sur l’environnement devient impossible à ignorer (ce que beaucoup de nos contemporains appellent aujourd’hui la « sixième grande extinction »). L’émergence du mouvement en faveur des droits de la nature est par conséquent de plus en plus motivé par la nécessité et par l’urgence, qui, comme la Cour constitutionnelle colombienne l’indique, exigent d’agir avant qu’il ne soit « trop tard ».
Les droits de la nature sont prévus de manière à ce que les personnes ainsi que les pouvoirs publics puissent les faire appliquer. Par exemple, en Équateur, la première affaire à être jugée en vertu de la Constitution de 2008 est due à deux résidents équatoriens agissant au nom de la rivière Vilcabamba. Ces derniers ont déposé une plainte au motif que les droits de la rivière étaient violés par la construction, par le gouvernement, d’une route empêchant l’écoulement naturel de la rivière. En 2011, le tribunal régional de Loja se rangea à ces arguments, la première fois qu’un tribunal affirmait que la nature possède des droits juridiques.
Aux États-Unis, les lois locales assurent le respect des droits des écosystèmes et des communautés naturelles qu’elles considèrent comme « la partie réellement intéressée ». Tout comme le parent ou le tuteur légal d’un enfant défend les droits en son nom devant les tribunaux, l’action visant à défendre les droits de la nature est menée au nom de l’écosystème qui est le détenteur des droits.
De nombreux enseignements peuvent être tirés des anciennes luttes visant à reconnaître les droits de ceux qui en étaient dépourvus. Le droit et la culture étaient utilisés de manière à légaliser et légitimer l’assujettissement des esclaves, des femmes et d’autres populations, tout comme c’est le cas avec la nature aujourd’hui.
En effet, comme l’indique la Cour constitutionnelle colombienne, la nature a aujourd’hui besoin du type de changement sociétal que les anciens mouvements ont réussi à générer dans le passé. Dans sa décision prise en 2016 reconnaissant les droits de la rivière Atrato, la Cour a déclaré « ce sont les êtres humains qui dépendent de la nature et non le contraire et ces derniers doivent assumer les conséquences de leurs actes et de leurs négligences en rapport avec la nature … ». La Cour explique ensuite que ce changement est possible tout comme « cela s’est produit auparavant avec les droits civiques et politiques ».