Il y a une crise de l'impunité dans les violations des droits de l'homme par les entreprises et cela ne fait qu'empirer. Dans notre travail avec le Centre de Ressources sur les Entreprises et les Droits de l'Homme, nous suivons les derniers développements juridiques dans les affaires pour tenir les entreprises responsables des violations des droits de l'homme, partager les informations entre avocats et au final, renforcer la responsabilité. Pendant des années, nous avons souligné les obstacles de plus en plus nombreux auxquels sont confrontées les victimes pour obtenir justice. Dans la mesure où les entreprises répondent rarement de leurs actes, il y a peu de raisons d'être optimistes.
Cette crise de l'impunité est si profonde que nous avons dû consacrer une bonne partie de notre dernier Bulletin Annuel aux menaces proférées contre les militants et avocats qui travaillent sur la responsabilité des entreprises. En 2016, nous avons même vu Pavel Sulyandziga, un leader indigène bien connu en Russie et membre du Groupe de Travail des Nations Unies sur les entreprises et les droits de l'homme, dénoncer le harcèlement dont lui et sa famille font l'objet à cause de son travail de soutien aux communautés locales pour garder le contrôle de leurs terres contre les industries extractives.
Les défenseurs des droits de l'homme qui travaillent sur la responsabilité des entreprises sont victimes de meurtres, agressions physiques et menaces, et obtiennent rarement justice, pour ne pas dire jamais.
La loi comme arme
Les défenseurs des droits de l'homme qui travaillent sur la responsabilité des entreprises sont victimes de meurtres, agressions physiques et menaces, et obtiennent rarement justice, pour ne pas dire jamais. De plus, la loi est souvent utilisée comme arme. Au cours des deux dernières années, le Centre de Ressources sur les Entreprises et les Droits de l'Homme a suivi plus de 450 cas d'attaques contre des défenseurs des droits de l'homme qui travaillent sur la responsabilité des entreprises. La plus fréquente est le harcèlement judiciaire (40% des cas).
En février 2016, six activistes qui s'opposaient à l'exploitation des terres de villageois pour les plantations de Socfin ont été emprisonnés après avoir été déclarés coupables de destruction de 40 palmiers à huile par un tribunal sierra-léonais. Les activistes proclament leur innocence et considèrent ce procès comme une “manœuvre pour nous jeter en prison et nous empêcher de dénoncer les transactions foncières inacceptables dans la Chefferie de Malen.”
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Six activists opposing the use of villagers’ land for Socfin plantations were jailed after a Sierra Leone court found them guilty of destroying 40 palm oil plants. The activists say they are innocent.
Ces types de harcèlement judiciaire ne sont souvent pas destinés à gagner des procès, mais plutôt à réduire au silence les défenseurs des droits de l'homme et les empêtrer dans des contentieux coûteux. En France, l'ONG Sherpa a été poursuivie en justice par l'entreprise Vinci pour diffamation, après le dépôt par l'ONG d'une plainte au pénal en mars 2015 contre l'entreprise et sa filiale qatarie pour des allégations de travail forcé sur leurs sites de construction au Qatar. Sherpa a déclaré à propos des procès: “[e]n nous engageant dans cette procédure coûteuse, Vinci cherche clairement à nous pousser au retrait de notre plainte faute de moyens ”
Ces procès sont une réponse souvent disproportionnée à des déclarations aussi minimes que des posts sur les réseaux sociaux. Lors d'une mission en Indonésie en septembre 2016, nous avons rencontré l'ONG KontraS, qui mène actuellement une campagne contre la pénalisation des actions des défenseurs des droits de l'homme. Ils nous ont parlé d'un activiste de l'ONG WALHI (Amis de la Terre Indonésie) qui faisait l'objet d'une plainte pour diffamation par les partisans d'un projet de réhabilitation foncière à Bali, fondée sur un tweet qui se moquait d'eux. Aux Etats-Unis, des activistes d'une communauté ont été poursuivis en justice par Green Group Holdings qui réclamait 30 millions de dollars américains après qu’ils se soient plaints sur les réseaux sociaux pour dénoncer le centre d'enfouissement de l'entreprise et son impact sur la santé des populations locales. Lee Rowland, un avocat de l'Union des Libertés Civiles Américaines (American Civil Liberties Union) qui a travaillé sur l'affaire, à déclaré: “Personne ne devrait avoir à craindre un procès à plusieurs millions de dollars simplement pour s'être exprimé au nom de sa communauté - mais nos clients si.”
Des procès de ce genre ont un effet dissuasif sur l'activisme et le plaidoyer sur les droits de l'homme. L'inégalité de pouvoir et de moyens entre de grandes entreprises dotées d'équipes d'avocats et des défenseurs des droits de l'homme sur le terrain signifie que de nombreux activistes peuvent céder aux exigences des entreprises plutôt que de s'engager dans une bataille juridique coûteuse. Cet effet dissuasif est de loin pire lorsque les défenseurs sont menacés d'agressions physiques et de mort.
De l'impunité à la responsabilité
Les entreprises bénéficient d'un environnement dans lequel existe la liberté d'expression, des travailleurs épanouis, et une base de consommateurs accrue, et les gouvernements attirent les investissements lorsque l'état de droit est solide. Les gouvernements devraient dépénaliser la diffamation telle que plaidée par les organisations internationales et régionales et des ONG de renom, promulguer des lois pour protéger les défenseurs des droits de l'homme et leurs avocats contre le harcèlement, et créer un environnement propice et un espace civique ouvert pour ceux qui travaillent dans le domaine de la responsabilité juridique des entreprises. (Bien sûr, les opposants argumenteraient que les lois pénalisant la diffamation sont nécessaires pour protéger leur réputation, mais il reste tout de même la responsabilité civile.) Les gouvernements devraient adopter une législation pour remédier aux procès stratégiques contre la mobilisation publique, comme celle adoptée dans plusieurs états américains et provinces canadiennes.
Les entreprises peuvent inciter les gouvernements à apporter des améliorations en exprimant leur opposition à l'action ou la législation gouvernementale qui menace de fermer l'espace civique. Natural Fruit a intenté un procès pour diffamation en Thaïlande contre Andy Hall, un militant et chercheur britannique dans le domaine des droits des travailleurs, après un rapport sur des violations alléguées des droits des travailleurs migrants au sein des usines de l’entreprise. Le Vice-président principal de S Group, un détaillant finlandais qui s'approvisionnait via Natural Fruit, a témoigné en faveur d’Andy Hall dans le procès pour diffamation en Thaïlande contre lui en juillet 2016. L'action de S Group dans cette affaire démontre les mesures que les entreprises peuvent prendre pour soutenir les défenseurs des droits de l'homme poursuivis en justice. Les entreprises peuvent aussi rédiger des politiques dédiées aux défenseurs des droits de l'homme, comme adidas, expliquant pourquoi les défenseurs des droits de l'homme sont importants pour leur travail et énonçant les attentes vis-à-vis des fournisseurs de l'entreprise.
Tout le monde bénéficie du travail des défenseurs des droits de l'homme et de la promotion de l'état de droit, donc les entreprises et gouvernements devraient travailler pour les soutenir et les protéger. Le système judiciaire ne devrait être utilisé que pour raffermir l'état de droit, non s'en prendre à ses défenseurs.