En novembre, les pays se réuniront à Bonn en Allemagne pour les négociations internationales sur le changement climatique. Depuis leur rencontre l’année dernière, les gouvernements se sont retrouvés dans l’obligation de réagir tant bien que mal au changement climatique afin de répondre aux conséquences humaines bien concrètes et significatives sur leur territoire national plutôt qu’à analyser les prévisions dans ce domaine. Dans les pays riches, aussi bien que dans les pays pauvres, les conditions climatiques plus extrêmes et les catastrophes liées au climat ont de profondes implications sur les droits humains de millions de personnes, à savoir, entre autres, le déplacement forcé des populations, la destruction des moyens de subsistance, le manque de nourriture et d’eau potable, et même la mort. Pire encore, les plus vulnérables, en particulier les enfants, sont principalement touchés.
"Les enfants, en particulier les enfants déplacés et les enfants migrants, sont parmi ceux qui sont les plus exposés aux répercussions négatives du changement climatique."
Le Conseil des droits de l'homme de l'ONU a récemment reconnu que les enfants, en particulier les enfants déplacés et les enfants migrants, sont parmi ceux qui sont les plus exposés aux répercussions négatives du changement climatique. La résolution a reconnu que les conditions climatiques plus extrêmes et d’autres conséquences néfastes du changement climatique menacent de nuire gravement aux droits humains des enfants. Ces droits comprennent la jouissance de ce qui se fait de mieux en matière de santé physique et mentale, d’accès à l’éducation, d’alimentation adéquate, de conditions de logement appropriées, d’eau potable et d’assainissement.
Dans mon travail chez Refugees International au cours de l’année qui vient de s’écouler, j’ai constaté certaines des conséquences du changement climatique sur les enfants, en particulier dans les pays pauvres, fragiles, et en proie aux conflits, mais dont le niveau de responsabilité dans la crise climatique est le plus faible. En juillet, nous avons voyagé en Somalie où près de 900 000 personnes ont été déplacées depuis novembre 2016 en raison d’une longue sècheresse qui a amené le pays au bord de la famine. Au cours de ces trois dernières décennies, la corne de l’Afrique a connu des températures plus élevées et un déclin persistant des précipitations. Ce changement climatique, dont les causes ont été attribuées à l'homme, a des conséquences profondes et irréversibles sur la vie des populations rurales démunies de la Somalie dont la survie est étroitement liée aux précipitations. À présent, le niveau des précipitations dans certaines zones touchées par la sécheresse est le plus bas depuis 36 ans.
De nombreuses familles affectées par la sècheresse ont afflué vers les villes pour avoir accès à la nourriture, à l’eau, à un abri et à la sécurité. Le taux de malnutrition monte en flèche dans un grand nombre des camps de déplacés, en particulier chez les enfants, et entraîne souvent des dommages irréversibles sur leur bien-être physique, mental et émotionnel notamment un retard de croissance, un développement du système cognitif déficient ou tardif, et une détresse émotionnelle grave. La malnutrition, associée au manque d’eau potable et d’assainissement, laisse également les enfants déplacés fortement vulnérables aux maladies comme le choléra, qui est endémique dans de nombreux camps. Aucun des camps que nous avons visité n’avait d’école.
Refugees International (All Rights Reserved).
Hurricane Matthew-affected children in Saint-Jean-du-Sud, Haiti.
Dans un camp de déplacés à Mogadiscio, j’ai rencontré une jeune mère et ses trois enfants en bas âge qui avaient fui leur village rural après que la troisième saison d’absence de pluie avait anéanti le dernier de leurs animaux. Elle et ses enfants étaient arrivés juste quelques jours plus tôt après avoir marché pendant des jours jusqu’à atteindre une ville où ils purent avoir un moyen de locomotion. « J’ai regardé mes animaux mourir » me dit la mère. « J’ai même vu des gens mourir … Cette sècheresse est la pire que nous ayons connue, pire même que celle de 2011 ». La sècheresse et la famine auxquelles elle fait référence avaient tué 250 000 personnes dont la moitié d’enfants qui, pour un grand nombre d’entre eux, périrent lors de leur fuite. « Regardez la main de mon enfant ! » me dit-elle avec insistance alors qu’elle appuyait fermement avec le pouce sur la chair de son bébé. Quand elle le retira, le creux persista pendant plusieurs secondes, un signe de malnutrition. Sa fille âgée de 18 mois, affaiblie par le manque de nourriture, me fixait d’un regard vide.
L’impact sur les droits humains des enfants des catastrophes liées au climat prend également d’autres formes. Plus tôt cette année, j’ai voyagé dans le sud-est d’Haïti où, fin 2016, après trois années de sècheresse, l’ouragan Matthew de catégorie 4 était passé. Les vents de 240 km/h de Matthew étaient bien trop puissants pour les familles démunies dont les maisons construites avec du bois et de la boue furent détruites faisant des dizaines de milliers de sans-abris. En juillet 2017, le nombre de personnes ayant besoin de l'aide alimentaire d'urgence était encore de 1,7 million et 140 000 enfants souffraient de malnutrition.
En temps de crise, une stratégie de survie courante pour les familles haïtiennes démunies consiste à placer les enfants dans un foyer d’accueil, chez des parents, des amis ou même chez des étrangers pour leur fournir de la nourriture et un toit. Mais séparer les enfants de leur famille augmente le risque de mauvais traitement et d’exploitation des enfants, y compris du trafic d’enfants. J’ai rencontré un travailleur humanitaire dans le Grand Sud, une des zones les plus touchées, qui m’a dit que quelques jours plus tôt, une femme l’avait abordé dans la rue et l’avait imploré, alors qu’il était un étranger pour elle, de prendre sa fille.
De plus, s’il est parfaitement établi que les filles (et les femmes) courent un plus grand risque de subir des violences sexistes, notamment l’exploitation et les violences sexuelles, il est alarmant de voir que ce risque est insuffisamment pris en compte, que ce soit en Somalie ou en Haïti. Concernant la protection des femmes et des filles déplacées en situation de catastrophe ou de conflit, l’insuffisance des fonds et le manque d’attention porté à ce problème sont tragiques.
De même, la protection humanitaire internationale et la politique migratoire pour protéger les enfants obligés de fuir leur pays en raison des catastrophes et autres conséquences négatives liées au climat sont insuffisantes. Par exemple, aux États-Unis, l’administration Trump a récemment décidé de ne pas prolonger la protection temporaire dont bénéficiaient plus de 58 000 hommes, femmes et enfants haïtiens qui, suite au tremblement de terre ayant touché Haïti en 2010, s’étaient vu accordé le statut de protection temporaire et avaient reçu l’autorisation de rester légalement aux États-Unis. Dès janvier 2018, nombre d’entre eux pourraient être renvoyés en Haïti. Les appels lancés par les enfants haïtiens afin de permettre à leur famille de rester n’ont à ce jour pas été entendus en dépit de la situation humanitaire et de l’extrême vulnérabilité au changement climatique d’Haïti. En septembre 2017, au lieu de retourner en Haïti, 13 000 ont cherché l’asile au Canada mais un grand nombre de ces demandes ont depuis été rejetées.
Les conséquences irréversibles sur les enfants, en particulier sur les enfants déplacés, renforcent l’urgence vitale du besoin de promouvoir plus activement les droits humains au cours des prochaines négociations sur le changement climatique à Bonn. Il faut faire davantage pour s’assurer que les enfants déplacés à cause des catastrophes climatiques disposent de suffisamment de nourriture, d’eau ainsi que des soins de santé et des services d’éducation. Les pays développés doivent également s’engager à augmenter les financements et l’assistance aux pays moins développés pour s’adapter à la variabilité du climat et renforcer leur capacité de résistance aux conditions climatiques plus extrêmes dans le futur. Plutôt que de restreindre les mesures comme celle du statut de protection temporaire, les pays devraient s’engager à établir des visas humanitaires ou des mécanismes de migration apportant des solutions légales et sûres aux enfants et aux familles des pays les plus vulnérables au climat. La création d’une équipe spéciale sur les déplacements dans le cadre de la Convention des Nations unies sur le changement climatique, chargée d’élaborer des recommandations afin de prévenir et réduire les déplacements de populations, offre une opportunité importante de mettre en exergue les risques spécifiques, en matière de protection des droits humains, auxquels les enfants déracinés font face, et de s’assurer que les mesures prises par les gouvernements pour lutter contre les effets du changement climatique incluent des initiatives pour y répondre efficacement.
Ce que je garde en mémoire de mes voyages en Somalie, en Haïti et dans de nombreux autres pays vulnérables au climat, ce sont les visages des enfants déplacés qui sont en première ligne. Protéger leurs droits, ainsi que les droits de tous les enfants, doit faire partie intégrante de toute réponse efficace au changement climatique s’il existe un espoir pour le futur de notre planète.