En novembre 2016, quelques jours après l’élection du Président Trump, Ann Aiken, la juge du district fédéral de l’Oregon, a rendu sa décision reconnaissant le lien entre le changement climatique et les droits humains, sur une motion en rejet dans l’affaire Juliana contre les États-Unis (la plainte avait été déposée par un groupe de 21 jeunes plaignants). Ann Ailen déclara un « droit fondamental … à un système climatique capable de soutenir la vie humaine ». Elle précisa que, en vertu du droit constitutionnel américain, « lorsqu’une plainte établit que l’action gouvernementale est clairement et nettement préjudiciable au système climatique entraînant des décès, une réduction de l’espérance de vie, des dégâts matériels considérables, une menace sur les sources de nourriture des êtres humains, et altère considérablement l’écosystème de notre planète, la violation des droits est effective ».
Alors que l’affaire Juliana continue de suivre son cours dans le système judiciaire américain et que la probabilité d’obtenir gain de cause demeure incertaine, la décision du juge Aiken montre le chemin parcouru par la prise en compte du changement climatique dans la défense des droits humains au cours de ces dernières années. Le Conseil des droits de l’homme des Nations unies n’a commencé à se pencher sur la question du lien entre les droits humains et le changement climatique que depuis une décennie. L'Accord de Paris sur le climat, conclu en décembre 2015, est le premier traité international reconnaissant formellement ce lien. Depuis lors, les arguments fondés sur les droits ont commencé à apparaître plus régulièrement dans les procès en lien avec le changement climatique. Quels enseignements émergent des procès climatiques fondés sur les droits à ce jour ?
Les procédures judiciaires autour de la question du changement climatique ont fait partie du droit climatique national (plus particulièrement aux États-Unis et en Australie) depuis les années 1990. La majorité de ces affaires ont fait appel au droit environnemental et plus rarement au droit privé et à la fiducie publique. En 2005, la pétition des Inuits devant la Commission interaméricaine des droits de l'homme a constitué une première en liant directement l’inaction des pouvoirs publics sur la réduction de l’émission de gaz à effet de serre aux violations potentielles des droits humains. Cependant, la pétition des Inuits fut rejetée et ce ne fut qu’une décennie plus tard que les arguments climatiques fondés sur les droits commencèrent à gagner du terrain devant les tribunaux.
Comme nous l’avons décrit par ailleurs, deux affaires (l'affaire Urgenda aux Pays-Bas et l'affaire Leghari au Pakistan) furent les précurseurs de cette nouvelle tendance en admettant que les droits civiques et politiques conventionnels, par exemple le droit à la vie, peuvent être élargis à la protection des citoyens contre les nuisances liées au changement climatique, comme la hausse du niveau des mers où les inondations. Dans le cas de Leghari, cet argument fut accepté par la Haute cour de Lahore qui stipula que le retard pris par le gouvernement pakistanais dans la mise en œuvre de la politique climatique nationale constituait une violation des droits fondamentaux des citoyens et notamment du droit à la vie qui est protégé par la constitution. La Cour déclara :
« Le changement climatique, défi majeur de notre époque, a considérablement dégradé le système climatique de notre planète. Au Pakistan, ces variations climatiques ont entraîné de fortes inondations et sécheresses, suscitant de graves préoccupations quant à la sécurité hydrique et alimentaire. Sur le plan juridique et constitutionnel, c’est un appel fort en faveur de la protection des droits fondamentaux des citoyens du Pakistan, en particulier, les populations les plus faibles et vulnérables de la société qui ne peuvent pas saisir cette Cour. »
Contrairement à l’affaire Leghari, la décision initiale de la Cour de district de la Haye dans l’affaire Urgenda en juin 2015 ne s’est pas directement appuyée sur les arguments des plaignants en lien avec les droits humains. Elle stipula plutôt que le gouvernement hollandais était allé à l’encontre du devoir de protection de ses citoyens en maintenant des objectifs nationaux de réduction des émissions trop limités au regard de ce qu’exigent la science et la politique climatique internationale. Néanmoins, la Cour d'appel de La Haye a conclu que la protection des droits humains, en vertu de la Convention européenne des droits de l’homme, imposait au gouvernement hollandais le devoir de protéger contre la « menace réelle des dangers du changement climatique entraînant un sérieux risque pour la génération actuelle de citoyens d’être confrontée à des pertes humaines et à une vie familiale perturbée ».
Ces deux affaires ont incité les plaignants à avoir recours aux arguments relatifs aux droits humains dans des procès climatiques en Colombie, en Afrique du Sud, en Europe, aux Philippines, au Canada, et dans le cadre de l’affaire Juliana aux États-Unis.
Cette tendance de plus en plus forte aux procès climatiques fondés sur les droits pourrait-elle conduire à l’élaboration d’un droit humain à un système climatique stable et durable ?
Établir ce type de droit, dans le cadre plus général du droit à un environnement sain, a été un objectif à long terme de nombreux défenseurs des droits humains. Sur la scène internationale, les évolutions récentes, comme le texte de préambule de l’Accord de Paris sur les droits humains et l’inclusion d’un « droit à un environnement écologiquement sain » dans le projet de Pacte mondial pour l'environnement (qui est en train d’être examiné par les Nations unies), semblent indiquer que cette approche a de plus en plus de partisans. De plus, dans un avis consultatif historique publié en novembre 2017, la Cour interaméricaine des droits de l’homme a reconnu le droit à un environnement sain comme un droit humain pouvant être impacté par la dégradation environnementale et le changement climatique.
Cependant, à ce jour, la plupart des procès climatiques faisant appel aux droits humains se sont appuyés sur les dispositions légales existantes plutôt que de chercher à formuler un nouveau droit humain environnemental ou climatique. Ces droits existants peuvent être les droits civils ou politiques élargis à la protection contre les conséquences du changement climatique, comme dans les affaires Leghari et Urgenda. Dans d’autres cas, comme dans celui de la remise en cause par Greenpeace de l'extraction pétrolière et gazière norvégienne en mer de Barents, les plaignants se sont appuyés sur les droits environnementaux prévus dans la constitution et dans le droit national dans leur lutte pour une action plus forte en faveur du climat. Dans l’affaire Juliana, les revendications en faveur des droits humains se fondent également sur le droit constitutionnel national, à l’aide d’un argumentaire basé sur le respect des droits.
Les tribunaux qui fondent leur décision sur les droits humains dans les procès climatiques ont été accusés « de détourner la démocratie ». Ceci dit, sur la scène internationale, les tribunaux sont de plus en plus nombreux à élargir les protections existantes des droits pour englober les préjudices climatiques, ou à utiliser les droits humains afin de réinterpréter les obligations environnementales et réglementaires. Devant l’urgence de plus en plus grande d’agir en faveur du climat et les dégâts climatiques toujours plus nombreux avec des conséquences graves sur la vie et les moyens de subsistance des populations, les plaignants et les groupes environnementaux continueront de plaider en faveur d’une plus grande reconnaissance de la dimension relative aux droits humains du changement climatique. Bien que le résultat de ces actions demeure incertain, les procès fondés sur les droits humain peuvent devenir un outil important pour répondre à l’impact humain lié au fait qu’aucune réponse suffisante ne soit apportée au changement climatique.