La manière dont les droits de l’homme sont perçus peut aider, ou gêner, la construction de l’État

En Tunisie, en Irak, en Palestine et au Yémen, seule la moitié de la population perçoit de manière positive la situation des droits de l’homme dans son pays. Cependant les enquêtes représentatives dans les quatre pays montrent que l’opinion publique sur la situation des droits de l’homme est fortement corrélée avec la confiance dans les services de sécurité et le système judiciaire. De toute évidence, ceux qui s’intéressent à la construction de l’État dans ces pays doivent porter la même attention aux droits de l’homme. Mais est-ce le cas ?

Quatre centres de recherche arabes ont récemment publié un rapport sur l’opinion publique concernant la réforme du secteur de la sécurité et du système judiciaire dans leur pays. Cette recherche sur les politiques entend déterminer le niveau de progrès en matière de réforme du secteur de la sécurité dans le monde arabe, ainsi que la manière dont les services de sécurité et les systèmes judiciaires sont perçus. Une partie de cette recherche vise tout particulièrement à diagnostiquer les forces et les faiblesses dans la manière dont ces systèmes performent.


Demotix/Luke Somers (All rights reserved)

Protesters call for democracy and a change in government in Sana'a, Yemen.


L’un des 12 indicateurs examinés par les chercheurs arabes analyse la manière dont les droits de l’homme sont perçus. Le score attribué à cet indicateur repose sur les 11 questions de l’enquête. La Tunisie, un des pays les plus avancés du printemps arabe, a émergé avec le score le plus élevé, et le Yémen, un des pays les moins avancés du printemps arabe, s’est placé en dernier. L’Irak et la Palestine sont arrivés à la deuxième et troisième place. Les conclusions montrent que les pays avec les meilleurs scores en matière de droits de l’homme avaient également les scores les plus élevés dans le domaine de la confiance dans les services de sécurité et les évaluations les plus positives du système judiciaire. Une corrélation positive existait entre les trois variables : plus le score était élevé ou faible pour les droits de l’homme, plus il était élevé ou faible pour les deux autres.

Les victimes du secteur de la sécurité ou du système judiciaire, ou les personnes qui y avaient été directement confrontées, évaluaient la situation des droits de l’homme d’une manière plus négative que celles qui n’avaient pas eu directement à faire avec eux. Les échantillons de cette recherche incluaient un nombre supplémentaire de personnes interrogées représentant celles qui étaient victimes du secteur de la sécurité ou du système judiciaire dans leur pays ou qui y avaient été directement confrontées. Cette recherche révèle une autre conclusion intéressante : les victimes du secteur de la sécurité ou du système judiciaire, ou les personnes qui y avaient été directement confrontées, évaluaient la situation des droits de l’homme d’une manière plus négative que celles qui n’avaient pas eu directement à faire avec eux. Cette conclusion était consistante à travers l’ensemble des pays concernés, et la tendance à lier les droits de l’homme et le système judiciaire était encore plus évidente parmi ce groupe que chez le grand public.  

Mais, en plus du fait d’avoir été victimes ou d’avoir été confronté au secteur de la sécurité ou au système judiciaire, quels sont les autres éléments influant sur les attitudes concernant la situation des droits de l’homme ? L’analyse des données révèle deux facteurs jouant un rôle fondamental pour forger ces attitudes : la perception de sa propre sécurité et son appartenance politique et clanique. Les conclusions montrent une forte interaction entre ces deux facteurs qui se renforcent mutuellement. Une corrélation positive existe entre les trois variables : plus une personne interrogée était positive concernant la situation des droits de l’homme, plus elle était susceptible de se sentir en sécurité, et plus la probabilité qu’elle soit membre ou sympathisant du parti au pouvoir, d’une faction, ou d’un clan était élevée.

En termes simples, dans les quatre pays, ceux qui sont le plus en sécurité et ceux qui soutiennent un parti ou un clan au pouvoir sont plus positifs sur la situation des droits de l’homme dans leur pays. Le rôle de l’appartenance politique et clanique ou la perception de la sécurité est particulièrement visible en Irak, où une perception plus positive de la situation relative aux droits de l’homme fut constatée parmi les partisans des partis chiites, suivi par les partisans des partis Kurdes et parmi ceux qui se sentaient en sécurité. La situation était complètement inversée, devenant fortement négative, chez les partisans des partis arabes sunnites et laïcs qui ont tendance à être les moins en sécurité. Une tendance similaire a été constatée en Palestine parmi les partisans du Fatah comparé aux partisans du Hamas. C’était également évident en Tunisie parmi les partisans de Ennhadha (le parti au pouvoir au moment de l’enquête) comparé aux partisans de Nidaa Tounes (l’opposition), et au Yémen parmi les partisans de Al-Islah (parti yéménite pour la réforme) comparé aux partisans du parti socialiste yéménite.

En d’autres mots, si vous soutenez le clan ou le parti au pouvoir, vous vous sentez plus en sécurité et votre score à l’enquête sur la situation des droits de l’homme dans votre pays sera élevé. Si vous soutenez l’opposition, vous vous sentez moins en sécurité et votre score sera faible.

Les implications sont claires : ceux qui s’intéressent à la construction effective de l’État doivent éliminer ces deux obstacles majeurs à la bonne gouvernance, à savoir l’exclusion politique et l’insécurité. La réforme du secteur de la sécurité doit garantir la création de services professionnels en les extirpant du bourbier de la politique sectaire et clanique. Seul un secteur de la sécurité plus professionnel est à même de répondre aux préoccupations du public quant aux droits de l’homme. Alors que la sécurité est plus difficile à assurer dans un environnement d’instabilité politique, comme en Irak, au Yémen et en Palestine, l’inclusion politique garantit la participation de tous les citoyens, qu’ils soient sympathisants du pouvoir en place ou membres de l’opposition. Aujourd’hui, ceux qui sont dans l’opposition sont ceux qui se sentent le plus dans l’insécurité et qui perçoivent de manière négative les droits de l’homme dans leur pays. S’ils continuent à être ignorés, l’instabilité et l’agitation vont persister. Et si c’est le cas, il ne sera jamais possible de construire un État solidaire et démocratique où tous les citoyens jouissent des mêmes droits.