La crise des réfugiés rohingyas est un énorme défi pour la communauté internationale. Le Bangladesh est sous pression en raison de la nécessité d’accueillir un million de réfugiés rohingyas alors que leur rapatriement volontaire en Birmanie semble éloigné. En l’absence d’une action décisive du Conseil de sécurité (ou d’autres institutions ou agences régionales) ou de développements politiques imprévus en Birmanie, d’autres solutions et mesures correctives doivent être étudiées.
De nombreux réfugiés rohingyas ont exprimé leur désir de rentrer chez eux mais, au préalable, ils ont un certain nombre d’exigences justifiées. Ces exigences incluent le fait d’obtenir justice et des réparations pour les torts subis, la protection de leurs droits humains, y compris l’obtention de la citoyenneté birmane, et la possibilité de retourner dans leur village d’origine. Pour que ces demandes aboutissent, la Birmanie doit prendre des engagements, et du point de vue des Rohingyas, cela pourrait être une condition sine qua non pour tout retour. Mais aucun engagement n’existe aujourd’hui et cela pourrait continuer à être le cas.
Le climat politique actuel sur la question des Rohingyas est difficile et il est légitime de se soucier d’une perte d’intérêt de la part de la communauté internationale, ce qui pourrait avoir des conséquences sur les ressources disponibles. Le Bangladesh ferait alors face au défi de devoir se débrouiller en l’absence de soutien international. Le parallèle avec la bande de Gaza n’est pas incongru. Le Bangladesh ne pourra vraisemblablement pas absorber un million de citoyens potentiels venant d’un pays voisin.
Dans ce contexte, pour aider à soulager les souffrances des Rohingyas et alléger la pression qui pèse sur le pays, le gouvernement du Bangladesh et la communauté internationale pourraient opter pour les options que nous allons développer. Bien que n’étant pas nouvelles ou inédites, ces propositions n’ont, à ce jour, reçu qu'une attention limitée.
Le Bangladesh et les autres pays accueillant des réfugiés rohingyas devraient accorder l’accès aux écoles publiques, ainsi que le droit temporaire de travailler, en plus de garantir l’accès aux soins, y compris un soutien psychosocial, le planning familial et des services de santé génésique. Le Bangladesh offre déjà, en partie, ce type d’assistance avec la présence de l’ONU et des dizaines d’ONG locales et internationales qui travaillent sur des programmes de protection et d’assistance dans les camps. Mais le plein accès à l’éducation est particulièrement important alors que plus de 70 pour cent des Rohingyas sont analphabètes et illettrés.
Le Bangladesh et les autres pays accueillant des réfugiés rohingyas devraient accorder l’accès aux écoles publiques, ainsi que le droit temporaire de travailler, en plus de garantir l’accès aux soins.
La Banque mondiale et les acteurs onusiens du développement se sont engagés à améliorer l’intégration économique et sociale des Rohingyas ainsi que leur coexistence avec les populations locales bangladaises. Apporter des services exige de considérer la fin des campements et de permettre aux réfugiés d’être accueillis au sein des populations locales, hors des limites de Cox’s Bazar. Le fait d’enregistrer les réfugiés auprès d’une autorité nationale et d’une organisation internationale permettrait de répondre au souci de maintien de l’ordre public des autorités bangladaises.
Au-delà des services fournis, reconnaître les compétences des réfugiés et leur volonté de travailler et de s’aider eux-mêmes est une réalité qui devrait être reconnue. Si les Rohingyas peuvent actuellement trouver des opportunités d’emploi, bien que limitées, au sein de l’économie informelle du Bangladesh, l’absence de protection juridique les rend vulnérables à l’exploitation et aux abus. Leur permettre de travailler légalement dans des secteurs qui recherchent de la main d’œuvre, sous condition d’être enregistrés, serait une avancée considérable. Impliquer le Bureau international du travail pour soutenir la formation professionnelle et créer des opportunités d’emploi, comme cela a été fait avec les réfugiés syriens en Jordanie, pourrait également être envisagé.
Une autre solution consiste à la réinstallation. Le Canada a fait part de son intérêt pour réinstaller les réfugiés rohingyas du Bangladesh. Un programme de réinstallation correctement géré, avec le soutien du HCR, peut éviter le risque de fraude ou les effets incitatifs. Toute réinstallation serait d’abord d’ampleur modeste et donnerait priorité aux situations de protection d’urgence, comme dans le cas des femmes victimes de violence, des personnes dont la santé est à risque, et des familles dont les membres sont séparés ou seuls.
La Malaisie, par exemple, permet à environ 150 000 réfugiés rohingyas de résider de facto dans le pays et a également facilité, avec le soutien de l’ONU, la réinstallation de plus de dix mille Rohingyas dans plusieurs pays, notamment le Canada, les États-Unis, le Japon et la Nouvelle-Zélande, au cours de la dernière décennie.
La solidarité régionale, via un programme permettant aux réfugiés rohingyas d’aller dans des pays voisins, serait un exemple positif de partage international des responsabilités.
La réinstallation et d’autres options pour aller à l’étranger peuvent également être étudiées en Asie et ailleurs. Le calvaire des Rohingyas attire la sympathie du public et plusieurs pays de l’Asie du Sud-Est et du Golfe ont des économies dynamiques pouvant offrir des opportunités de travail. La solidarité régionale, via un programme permettant aux réfugiés rohingyas d’aller dans des pays voisins, serait un exemple positif de partage international des responsabilités. De même que pour le Plan d’action global adopté pour les réfugiés indochinois, diverses options peuvent être suivies, notamment la protection temporaire dans un pays tiers, la protection et le séjour temporaire avec une réinstallation éventuelle, ou le rapatriement sous supervision internationale avec la possibilité de demander l’asile si les conditions l’exigent.
Bien entendu, la communauté internationale ne peut pas occulter les graves violations des droits humains endurées par les Rohingyas. Prendre un certain nombre de mesures afin que des comptes soient rendus et obtenir justice pour les Rohingyas est essentiel. L’enquête par la Cour pénale internationale, et l’accusation de génocide portée devant la Cour internationale de Justice par la Gambie, sont des étapes importantes. Au-delà des responsabilités pénales individuelles et de la mise en cause des États, les observateurs des Nations unies ont suggéré un embargo contre les intérêts commerciaux liés aux forces armées birmanes (officiellement connues sous le nom de Tatmadaw) pour couper tout soutien financier ou de toute autre nature. L’option consistant à imposer des sanctions contre les officiers militaires et les membres de leur famille peut également être envisagée. Identifier et confisquer les actifs cachés en dehors de la Birmanie est une autre mesure que le ministère de la Justice d’un pays donné peut envisager.
Cependant, ces initiatives juridiques internationales prennent du temps. Dans l’immédiat, il faut continuer de soutenir le Bangladesh et les réfugiés rohingyas par le biais de l’assistance humanitaire. Par la suite, s’assurer que les réfugiés soient représentés systématiquement et associés aux décisions importantes qui les affectent, en particulier concernant leur rapatriement, est une nécessité absolue. Ne pas impliquer et inclure les Rohingyas affaiblira ou empêchera leur adhésion à toute décision négociée en leur nom.
La bonne gestion de la dimension humanitaire de la crise actuelle peut perdurer grâce à un leadership avisé, une planification stratégique efficace, une diplomatie et des actions de plaidoyer créatives et un certain degré de bonne fortune au plan politique. Mais la bonne fortune ne peut à elle seule suffire et aboutir aux solutions que les Rohingyas méritent et que le Bangladesh et la communauté internationale demandent légitimement. Les options que nous venons d’aborder méritent une attention urgente.