Alors que la pandémie progresse, notre obligation collective de fournir une protection internationale transfrontalière prend une nouvelle dimension.
Certains États ferment leurs frontières aux demandeurs d’asile, en prenant le prétexte de la pandémie. La Grèce expulse les demandeurs d’asile vers la Turquie, sans leur donner la possibilité de déposer de demande d’asile. Les États-Unis ferment leur frontière sud aux voyageurs définis comme « non essentiels », ce qui a pour effet de bloquer les demandeurs d’asile, et cherchent également à changer la loi pour que les personnes atteintes du coronavirus ne puissent pas demander l’asile.
Ces décisions politiques ne sont ni prédéterminées, ni inévitables : nous avons le choix. Par exemple, la Norvège et la Suède comprennent que « le droit d’asile ne doit pas être affecté par le coronavirus » et ont explicitement exempté les demandeurs d’asile des mesures de fermeture des frontières décidées dans le cadre de la lutte contre le Covid-19. Le Portugal a même décidé de régulariser les demandeurs d’asile et les migrants jusqu’au 30 juin, et de garantir leur droit à la santé pendant que le pays lutte contre la pandémie. Les épidémiologistes ont affirmé qu’il n’existe aucune donnée scientifique prouvant que le refus des demandeurs d’asile soit une stratégie logique de santé publique pour stopper la propagation du virus. En fait, dix années de données fédérales américaines montrent l'absence de lien statistique entre l’admission des demandeurs d’asile et la grippe, y compris lors de la pandémie de H1N1 et des premiers mois de la pandémie de Covid-19. Les mesures de santé publique visant à effectuer un contrôle sanitaire aux frontières sont importantes et nécessaires mais elles ne devraient pas servir de prétexte au refus discriminatoire de toutes les demandes d’asile.
Prenons les scénarios possibles suivants où se mêlent Covid-19 et persécution :
- Une femme demandeuse d’asile, et sa fille trisomique atteinte d’une cardiopathie congénitale lui faisant courir un risque plus élevé de contracter le Covid-19, ne peuvent pas rester dans l’hôtel où elles se trouvent au Mexique car sa fille pleure bruyamment la nuit. Quand l’hôtel les expulse pour avoir « dérangé » les autres occupants, elles sont kidnappées par un cartel et libérées seulement après le paiement d’une rançon payée avec de l’argent emprunté. La mère et sa fille ne peuvent pas retourner dans leur pays d’origine où elles sont également menacées par les gangs. Il n’y a que 10 respirateurs dans la ville mexicaine où elles se trouvent.
- Une personne transgenre, séropositive et immunodéprimée, qui demande l’asile, s’est déjà vu refuser, dans le passé, des soins médicaux dans son pays d’origine car « les services de l’hôpital ne sont prévus que pour les hommes ou les femmes ». Elle a fui après avoir été battue et menacée en raison de son identité de genre. Dans son pays, les foyers d’accueil et les logements sûrs, où elle aurait pu trouver refuge, ont été fermés afin de prévenir la propagation du coronavirus.
- Un homme âgé de 71 ans, en bonne santé générale mais souffrant d’un diabète sous contrôle, a fui son pays en raison de l’apparition d’un conflit armé. Son pays fait savoir que, pendant la pandémie, les personnes âgés de plus de 65 ans atteintes du coronavirus qui viennent à l’hôpital n’auront pas accès aux respirateurs et ce même si elles ne peuvent pas respirer sans assistance. Dans l’établissement où il vivait dans son pays, les résidents sont abandonnés, morts, dans leur lit.
- Une infirmière en vacances twitte sur la réponse inappropriée de son pays à la crise du Covid-19, indiquant notamment qu’il est non seulement presque impossible de se procurer des articles essentiels, comme du désinfectant et des masques respiratoires, mais que dans de nombreux hôpitaux, le réseau d’électricité et d’eau est instable. Elle vient d’apprendre que des collègues, qui s’étaient également plaint, ont été arrêtés ou menacés d’être rétrogradés et d’être poursuivis devant la justice, et elle a peur de rentrer.
Au niveau mondial, les changements de grande ampleur qui accompagnent le Covid-19 font peser une menace mortelle grave et directe sur les populations : des millions de personnes sont infectées et, à ce jour, plus de 255 000 décès ont été constatés.
Quand les États ignorent ouvertement les recommandations des experts en santé publique dans les décisions politiques qu’ils prennent pour combattre le Covid-19, dissimulent des informations sur l’ampleur de la menace de santé publique, et refusent de manière discriminatoire les tests ou les traitements, cela peut constituer une privation arbitraire de la vie. Ce qui déclenche alors le principe de non-refoulement qui interdit aux États de renvoyer une personne vers un pays où sa vie est clairement menacée.
Évidemment, aucun pays ne dispose aujourd’hui de moyen prouvé de traiter ou de guérir le Covid-19. Mais, lorsqu’il s’agit de sauver des vies, nous connaissons l’importance essentielle des respirateurs, des équipements de protection individuelle et de la capacité à s’isoler. Nous savons que le risque est beaucoup plus élevé pour de nombreuses personnes, notamment celles qui ont plus de 65 ans, qui souffrent de problèmes cardiaques, de diabète, de troubles respiratoires, ou qui sont immunodéprimées. Nous sommes conscients que, dans de nombreux pays, les personnes appartenant à une minorité (notamment religieuse, ethnique, ou en lien avec l’identité sexuelle) peuvent se voir refuser l’accès aux soins à cause de la discrimination. Dans certains pays en conflit, le système de santé est sur les genoux après des années d'attaques qui ont visé les établissements de soins. Enfin, certains pays répriment les médecins et les journalistes qui disent la vérité sur la propagation et les conséquences du virus.
Les personnes (comme les « personnes âgées à qui l’on refuse l’assistance respiratoire », « les femmes transgenres que l’on refuse de soigner en raison de leur identité de genre », « le personnel médical qui signale publiquement les défaillances d’un système de santé » ou les « enfants sans abri souffrant d’affections sous-jacentes ») qui sont menacées par l’action des États, en raison de leur identité, pourraient faire partie d’un groupe social spécifique ayant droit à une protection internationale en vertu de la Convention des Nations unies de 1951 relative au statut des réfugiés.
L’Agence des Nations unies pour les réfugiés a publié une déclaration, en mars 2020, disant clairement que les États ont l’obligation, même en temps d’urgence, de contrôler individuellement les personnes arrivant aux frontières pour vérifier l’éventualité qu’elles soient victimes d’un préjudice grave en cas d’expulsion. En fait, l’augmentation du risque causée par le Covid-19 peut renforcer l’obligation des États d’admettre les demandeurs d’asile qui risquent, en cas de retour dans leur pays d’origine, de mourir du virus à cause de leur situation personnelle (notamment à cause d’affections préexistantes et des conditions de vie et d’accès aux soins dans leur pays d’origine).
Aux États-Unis, un groupe de juristes a récemment affirmé que la gravité du préjudice lié au Covid-19 amène, à chaque étape d’une procédure de renvoi, à examiner la situation des personnes ayant démontré avoir subi, dans le passé, un niveau de persécution qualifiant leur demande d’asile, sans avoir démontré l’existence d’un niveau de danger futur suffisamment élevé. Selon la jurisprudence, la prévalence de maladies et la capacité de réaction de leur pays d’origine sont des éléments à prendre sérieusement en compte pour déterminer si un migrant a besoin de protection, en particulier s’il peut se voir refuser l’accès à un traitement ou à des soins médicaux appropriés.
En vertu du droit américain, ces individus peuvent avoir droit à l'asile humanitaire sur la base d’une « possibilité raisonnable d’autre préjudice grave » sans rapport avec un mauvais traitement passé. De nombreux autres pays prévoient également d’autres formes obligatoires similaires de protection complémentaire.
Les États ont créé un droit international des réfugiés qui est la norme en matière d’octroi de l’asile aux personnes qui fuient un danger grave, notamment en temps de crise et de grande instabilité. Abandonner cet ancien cadre juridique au moment même où la protection est plus nécessaire que jamais ne repose sur aucune logique.