Pendant que le Maroc faisait valoir ses accomplissements dans le domaine des droits humains au siège des Nations Unies à Genève en juin dernier, le journaliste Ali Lmrabet observait une grève de la faim devant les portes de l’ONU. Il protestait contre le refus des autorités marocaines de lui délivrer un simple document administratif pour renouveler sa résidence au Maroc. Les autorités avaient initialement opposé leur refus (bien qu’elles donnèrent leur accord par la suite), affirmant qu’il n’était pas allé au bout des procédures administratives requises. En réalité, cependant, il avait essuyé un refus pour des raisons politiques. Ali Lmrabet avait vécu en dehors du Maroc pendant une décennie après avoir été interdit d’exercice l’écriture pour une période de dix ans, avant de déclarer son intention de revenir au Maroc et de lancer un journal d’opposition.
Un an plus tôt, le ministère de l’Intérieur avait interdit plusieurs activités organisées par des ONG de défense des droits humains qui critiquaient le régime, prétendant paradoxalement que ces activités avaient pour effet de discréditer les efforts de l’État visant à améliorer la situation en matière de droits humains. L’interdiction fit suite au discours du ministre de l’Intérieur devant le parlement en juin 2014, où il avait fait le lien entre le terrorisme et les critiques des ONG de défense des droits humains visant les efforts de l’État pour lutter contre le terrorisme.
Il est important de noter qu’il y a une amélioration positive, bien que lente, dans le domaine des droits humains et de la liberté d’expression au Maroc. Mais cette amélioration est fluctuante car les dirigeants sont réticents à agir fermement contre certaines pratiques oppressives. Dans le domaine des droits de l’homme, la communauté militante est assez faible au Maroc, et la pression du public pour inciter les dirigeants à agir est insuffisante. Parce que les militants marocains des droits de l’homme ne disposent pas d'une base populaire forte pour faire appel à l’opinion publique ou pour peser sur elle, ils ne peuvent tout simplement pas influencer les décideurs. Comme James Ron et ses collègues l’ont noté, les organisations locales de défense des droits humains doivent disposer d’un certain niveau de soutien local pour parvenir à leurs fins.
Demotix/alessandro parente (All rights reserved)
The Moroccan state strategically employs various techniques to limit freedoms within the scope of law, and journalists and human rights activists are often the target.
Après que la tempête déclenchée par les protestations politiques en 2011 se soit calmée, l’État a commencé à adopter des politiques dures contre les opposants au régime. Un certain nombre de militants des droits humains, et de journalistes issus tant du milieu seculaire que des milieux islamiques, en ont subi les conséquences. En plus des opposants habituels au régime qui n’appartiennent pas aux institutions étatiques comme le parlement et le gouvernement, l’État a également réprimé des grandes figures du Parti de la justice et du développement (PJD), le parti qui dirige le gouvernement au Maroc, et d’anciens responsables de l’État.
Les deux formes distinctes d’oppression utilisées couramment par les autorités sont : l’oppression « douce » (tentations et pressions psychologiques) et l’oppression « dure » (poursuites pénales, arrestations et peines de prison). Ces arrestations ont en grande partie touché les militants du Mouvement du 20 février (M20F) mais les accusations portées n’étaient (et c’est toujours le cas) pas souvent liées à leurs activités politiques. Un militant peut être arrêté pour l’usage de stupéfiants (souvent du haschisch), ou pour l’adultère, ou en raison d’accusation de soutien au terrorisme. Mouad Belghouat, dit El Haqed (le vengeur), un célèbre rappeur qui fait partie du Mouvement du 20 février, a par exemple été arrêté à cause d’une bagarre avec un autre citoyen et condamné à un an de prison. Mais en réalité, il a été enfermé à cause de ses activités politiques et de ses chansons protestant contre le régime.
L'État utilise stratégiquement diverses techniques pour limiter les libertés dans le cadre de la loi en ciblant souvent les journalistes et les militants des droits humains.
En terme d’intimidation « douce », l’État utilise stratégiquement diverses techniques pour limiter les libertés dans le cadre de la loi en ciblant souvent les journalistes et les militants des droits humains. L’État a fréquemment recourt à la diffamation dans les médias, semant la peur ou la panique dans les familles en procédant à des arrestations et en créant de fausses accusations de corruption.
Une campagne de diffamation a par exemple été lancée contre les opposants de gauche, et notamment contre Maâti Monjib, le directeur du Centre Ibn Rochd d’études et de communication, suite à un séminaire qui avait été organisé en 2014 avec pour sujet de trouver un terrain commun entre les islamistes et les séculaires au Maroc. Les autorités ont également arrêté un journaliste proche de Monjib en l’inculpant d’infidélité conjugale, pour lui faire peur et le forcer à arrêter de critiquer le régime.
Pour les hommes d’affaires, en plus du recours à la diffamation, l’État utilise également les contrôles fiscaux et la restriction des activités professionnelles. Le célèbre homme d’affaires Karim Tazi en est un exemple : en raison de son soutien au M20F, l’administration fiscale a procédé au contrôle fiscal de ses sociétés sur plusieurs années et l’ont obligé à régler le statut juridique de ses employés. Ces contrôles sont vraisemblablement motivés par des considérations politiques plutôt que par le désir d’appliquer la loi.
Fait intéressant, des campagnes de diffamation et de persécution juridique ont également été lancées contre des figures affiliées avec le PJD, ou d’anciens responsables gouvernementaux. Ce fut certainement le cas avec Hassan Aourid, un ancien camarade de classe du Roi qui avait occupé plusieurs postes de haut niveau au sein de l’État, notamment en tant que porte-parole du Palais, Gouverneur de Meknès, et historien du Royaume. Après qu’il eut manifesté son soutien au M20F, il devint une cible. Il est actuellement poursuivi par le ministère de l’Intérieur pour l’occupation illégale d’une ferme qui lui a été accordée quand il était le Gouverneur de Meknès et qui est la propriété de l’État. Le ministère de l’Intérieur lui demande de restituer le domaine, et Aourid a été dépouillé de tous les privilèges dont il bénéficiait quand il était proche de la monarchie.
De même, Abdelali Hamidine, un dirigeant du PJD, fut la cible d’une campagne massive de diffamation dans les journaux proches des services de sécurité. Cette campagne a été déclenchée après qu’il eut publié un article critiquant le Roi pour avoir abusé de ses pouvoirs constitutionnels et enfreint les pouvoirs du chef de gouvernement.
Mais tout n’est pas que punition. L’État essaye souvent d’abord de rallier les opposants en accordant des avantages, que ce soit en payant des voyages ou en accordant des privilèges et des contacts dans les milieux d’affaires, ou encore en promettant d’employer des proches, entre autres choses. Cette stratégie a été utilisée avec succès avec certains des militants du mouvement du 20 février qui se virent accorder des opportunités d’emploi ou des promotions dans leur travail.
Cette approche du « bâton et de la carotte » utilisée par les autorités pour faire taire les critiques érode un soutien publique déjà faible pour les droits humains. L’espoir que le Maroc puisse changer radicalement après les protestations de 2011 s’évanouit. Les organisations locales de défense des droits humains ont maintenant besoin d’un changement radical en terme de soutien public si elles veulent lutter contre la répression continue du regime. Comment vont-elles y parvenir reste la grande question en suspens.