James Hathaway a raison de dire que nous avons besoin d’une solution mondiale aux crises internationales de réfugiés. Il a raison de dire que la crise en cours en Europe est le signe révélateur de lacunes plus profondes dans le régime international de protection des réfugiés. Et il a raison de souligner la nécessité de donner les moyens aux réfugiés d’être indépendants, de prendre en compte les problèmes rencontrés par les États accueillants des réfugiés, et de rendre la coopération internationale en faveur des réfugiés plus prévisible.
Mais est-ce que cela peut-être accompli en s’attachant principalement à la mise en œuvre de la Convention de 1951, et des engagements négociés au préalable entres les États, sous la supervision d’une organisation internationale telle que le Bureau du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) ?
Probablement pas.
Les propositions de Hathaway en faveur d’une reformulation du droit international des réfugiés sont aussi ambitieuses aujourd’hui que c’était le cas lorsqu’elles furent publiées pour la première fois en 1997. Rendre la coopération internationale plus prévisible est au cœur de ces propositions. Comme indiqué dans le Préambule de la Convention de 1951 « l’octroi du droit d’asile peut représenter un lourd fardeau pour certains pays » et une « véritable protection globale ne peut donc pas être obtenue sans coopération internationale. » Le défi, à cette époque ainsi que de nos jours, réside en l’absence de toute obligation contraignante pour les États de coopérer pour garantir la protection des réfugiés et trouver une solution à leur détresse.
Vu l’ampleur du défi, on pourrait penser que les États souhaiteraient combler cette lacune et profiter de la prévisibilité inhérente au modèle que propose Hathaway.
Mais ce n’est pas le cas.
En réponse aux problématiques identifiées par Hathaway en 1997, la réunion du Comité exécutif du HCR, qui s’est tenue en 1998, comprenait un débat général sur le thème « Solidarité internationale et partage de la charge sous tous ses aspects ». Cette réunion était vue comme l’occasion de tester la volonté politique des États de repenser la manière dont la coopération pouvait être assurée et rendue plus prévisible.
United States Mission Geneva/Flickr (Some rights reserved)
A UNHCR Executive Committee Session.
Ce qui en ressortit, toutefois, fut la divergence significative entre le point de vue des pays du Sud, accueillant les réfugiés, et celui des pays du Nord, les bailleurs de fonds. La Tanzanie, par exemple, remarqua que « les pays d’asile sont dans une très large mesure, contraints de supporter la majeure partie de la charge liée à l’accueil des réfugiés qu’ils admettent » et que « quelles que soient les ressources qui sont mises à disposition… elles relèvent de la charité, laissée à la discrétion des États donateurs ». À l’inverse, les États-Unis rejetèrent la notion selon laquelle l’accueil de réfugiés constituait une « charge » appelant au contraire à une approche incluant l’amélioration de l’accès à des solutions locales et reconnaissant « la contribution intellectuelle et économique des réfugiés ». Comme indiqué dans le résumé officiel du débat, alors que le concept de charge et de partage de responsabilité était largement soutenu, l’intérêt des États pour de « nouveaux mécanismes mondiaux », semblables à ceux proposés par Hathaway, était faible.
Les États paraissent plus disposés à travailler dans le cadre de réponses parcellaires et au cas par cas plutôt que de coopérer.
De même, les États ne sont aujourd’hui pas disposés à souscrire à des obligations supplémentaires en lien avec les réfugiés. Ils paraissent plus disposés à travailler dans le cadre de réponses parcellaires et au cas par cas plutôt que de coopérer. C’est le cœur de la crise dont nous sommes les témoins aujourd’hui en Europe et ailleurs.
Mais cela n’a pas toujours été le cas. En 1989, par exemple, les États s’accordèrent sur un ensemble complet de réponses collaboratives sur deux situations importantes et complexes : les réfugiés d’Amérique Centrale et les réfugiés du Vietnam, du Laos et du Cambodge. Comment ces situations furent-elles résolues ?
D’abord, le HCR joua un rôle catalyseur au sein du système des Nations Unies dans la compréhension des intérêts des pays du Nord ainsi que des pays du Sud et dans le lien fait avec les intérêts en jeu dans la protection des réfugiés. Ces intérêts n’étaient pas seulement humanitaires, mais concernaient également les domaines sécuritaires, économiques, politiques et régionaux.
Deuxièmement, les réponses aux crises de réfugiés dépassèrent le seul cadre humanitaire. En Amérique Centrale, par exemple, le HCR travailla avec les acteurs impliqués dans le développement et dans la consolidation de la paix, comme le programme des Nations Unies pour le développement, pour intégrer les solutions mises en place pour les réfugiés dans un programme plus large de développement et post-conflit.
C’est la formule gagnante que nous devons redécouvrir aujourd’hui : intégrer la protection des réfugiés, et les solutions mises en place, dans un programme plus large de développement et de consolidation de la paix ; faire du HCR une organisation dynamique et jouant un rôle de catalyseur, qui soit à même de comprendre les intérêts des États et de s’appuyer sur ces intérêts ; et s’assurer que les réponses apportées aux réfugiés soient considérées comme relevant de la responsabilité partagée au sein du système onusien.
Une partie de la solution à la crise dont nous sommes témoins aujourd’hui réside clairement dans la promotion de la pleine mise en œuvre de la Convention de 1951. Hathaway a raison de souligner les avantages liés au fait que les réfugiés deviennent indépendants : non seulement les réfugiés en bénéficient, mais cela permet également d’atténuer la perception des réfugiés comme étant une charge pesant sur les pays d’accueil. Cette indépendance leur permet aussi de contribuer aux économies locales, et elle pose des bases essentielles à l’identification de solutions pour les réfugiés, et ce, quel que soit le lieu où ces solutions s’appliquent.
Mais le seul fait de mettre l’accent sur la Convention de 1951 ou sur le fonctionnement technique du régime mondial de protection des réfugiés ne permettra pas d’arriver à ce résultat. Nous devons au contraire comprendre également le contexte au sein duquel le régime mondial de protection des réfugiés fonctionne et la manière dont les conditions préalables nécessaires à la coopération peuvent être réunies.
Trouver une solution mondiale aux crises internationales de réfugiés passe par la compréhension de la dimension politique du régime international de protection des réfugiés, par la prise en compte nécessaire des problèmes et intérêts afin de répondre à la situation complexe à laquelle les réfugiés font face, par le fait de repenser le HCR en tant qu’ organisation à même de jouer un rôle catalyseur prévisible dans la mobilisation de tous les acteurs indispensables à la garantie de la protection des réfugiés et à l’identification, en temps opportun, de solutions à leur détresse.
Cela implique d’aborder la question des réfugiés hors du seul champ humanitaire pour l’intégrer dans le travail que l’ONU effectue dans des domaines comme ceux du développement et de la consolidation de la paix. Ce qui exigera que le plus haut niveau du système onusien exerce son leadership afin de définir une nouvelle approche pour rendre les solutions apportées aux réfugiés plus prévisibles.
Enfin, ce leadership doit s’afficher le 19 septembre 2016, lorsque le Secrétaire général des Nations Unies accueillera un Sommet des dirigeants pour proposer aux États membres de nouvelles réponses aux besoins des réfugiés. Ce sera le meilleur moment pour revenir à la formule gagnante.