En mars 2016, des intrus armés ont défoncé la porte de la maison où séjournait la militante écologiste hondurienne, Berta Cáceres, 44 ans, et l’ont assassinée. Jusque-là, Berta Cáceres, co-fondatrice du Conseil civique des organisations populaires et indigènes du Honduras, avait enduré pendant des années des menaces de mort en raison de ses activités et en particulier pour avoir mené une campagne populaire couronnée de succès contre le projet de barrage d’Agua Zarca, un vaste complexe qui devait être construit par l’entreprise publique chinoise Sinohydro sur des terres habitées par le peuple lenca.
Il ne s’agit pas là de cas isolés. Des peuples dans le monde entier se mobilisent pour protéger l’environnement de l’aggravation de la crise écologique : pollution toxique galopante, changement climatique, déforestation, perte de biodiversité, dégradation des sols, pénuries d’eau douce. Alors que les ressources naturelles du monde sont soumises à une pression et une exploitation de plus en plus forte, les personnes qui défendent ces ressources contre le danger que représentent pour ces dernières l’exploitation minière, les barrages, l’exploitation forestière et l’industrie agroalimentaire, subissent des violations directes de leurs droits humains.
Le nombre de meurtres de militants ne fait que croître : en 2016, d’après Global Witness, au moins 200 assassinats de défenseurs de l’environnement et des droits fonciers ont été recensés dans 24 pays, principalement en Amérique du Sud. Près de 40 pour cent des militants assassinés étaient des indigènes. Les militants pensent que des entreprises ou des forces étatiques sont derrière un grand nombre d’assaillants ; peu d’entre eux sont arrêtés et, souvent, ils ne sont même pas identifiés.
En 2016, d’après Global Witness, au moins 200 assassinats de défenseurs de l’environnement et des droits fonciers ont été recensés dans 24 pays
Cáceres et beaucoup d’autres militants dans le monde se sont battus publiquement et activement pour protéger leur environnement alors que s’aggrave la crise écologique. Leur mort a mis en lumière la nécessité pour les coupables de rendre des comptes ainsi que le besoin d’octroyer des réparations à ceux qui souffrent le plus des dégâts causés à l’environnement, et qui sont souvent les femmes, les pauvres, les minorités ethniques, raciales et marginalisées et les jeunes. De même, la reconnaissance mondiale du droit à un environnement sain s’impose. Cela aurait pour effet de renforcer la capacité des communautés et de leurs membres à défendre leur environnement en établissant les conditions permettant de demander aux contrevenants de rendre des comptes en faisant appel à de nouveaux motifs et recours juridiques.
Le droit humain à un environnement sain rassemble les différentes dimensions environnementales que peuvent contenir les droits civils, culturels, économiques, politiques et sociaux et protège ce qui est au cœur de l’environnement naturel et permet de vivre dans la dignité. La pureté de l’eau, de l’air et des sols et la diversité des écosystèmes sont en effet indispensables pour vivre en bénéficiant d’un niveau de santé et de sécurité adéquat. Le droit protège également l’espace civique afin que les individus puissent s’impliquer sur les questions de politique environnementale. Sans cette implication, les politiques gouvernementales servent souvent les intérêts de ceux qui détiennent le pouvoir plutôt que ceux des citoyens, et certainement pas ceux des personnes privées de leurs droits sur le plan politique.
Au niveau national ou régional, la reconnaissance juridique s’est renforcée depuis des décennies. Depuis la tenue, en 1972, de la Conférence des Nations Unies sur l’environnement humain, plus de 100 pays ont inscrit, sous divers types de formulation, le droit à un environnement sain dans leur constitution nationale.
Certains instruments régionaux sur les droits humains mentionnent explicitement le droit à un environnement sain. Par exemple, la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples reconnaît le droit des peuples à « un environnement globalement satisfaisant propice à leur développement ». Le peuple ogoni, qui vit au Nigéria dans le Delta du Niger, se mobilise en faveur du droit à un environnement en menant un combat à l’échelle nationale et internationale contre les effets préjudiciables de l’exploitation pétrolière sur ses terres et les abus perpétrés par les militaires nigérians. Les Ogonis ont ainsi attiré l’attention de la communauté internationale sur leur cause et ce qu’ils ont accompli laisse à penser qu’un mouvement mondial visant à mettre un terme à l’impunité des meurtres de militants, comme celui de Cáceres, pourrait arriver à ses fins.
Bien évidemment, l’existence d’un droit à un environnement sain reconnu mondialement ne devrait pas être une nécessité lorsqu’il s’agit de protéger efficacement les militants écologistes agissant individuellement. Les agressions à leur encontre constituent une violation de plusieurs droits humains universellement reconnus comme la liberté d’association et d’expression. Cependant, il est possible qu’un droit à un environnement sain reconnu mondialement permette aussi d’inscrire le travail des défenseurs de l’environnement (encore trop souvent stigmatisés comme étant opposés au développement) pleinement dans le cadre des droits humains, leur conférant légitimité et protection.
Un certain nombre d’opportunités d’arriver à ce type de reconnaissance se font jour. Alors que son mandat arrive à son terme fin 2018, John Knox, rapporteur spécial de l’ONU sur les droits de l’homme et l’environnement, prépare actuellement une synthèse des obligations des droits humains concernant un environnement durable et sain. Ce travail ouvre la voie à un renouveau du débat sur la proclamation officielle du droit à un environnement sain par le Conseil des droits de l’homme ou par l’Assemblée générale des Nations Unies.
Une autre d’opportunité est le « Pacte mondial pour l’environnement » lancé par le gouvernement français lors de l’Assemblée générale des Nations Unies. De la même manière que les deux pactes internationaux relatifs aux droits de l’homme de 1966 codifiaient la Déclaration universelle des droits de l’homme, le Pacte mondial constitue une tentative de codification des principes et des droits environnementaux énoncés dans la Déclaration de Stockholm sur l’environnement humain de 1972, texte fondateur, et dans la Déclaration de Rio sur l’environnement et le développement de 1992.
La viabilité écologique à terme de notre planète a été remise en question par des scientifiques du monde entier. Les organisations de la société civile n’ont eu de cesse d’exprimer la nécessité de préserver la capacité de la planète à préserver la vie, restaurer les écosystèmes dégradés et favoriser une relation équilibrée entre les êtres humains et la nature. Un renouveau du débat sur le droit à un environnement sain améliorerait la prise de conscience du fait que les humains ne vivent pas à l’écart de la nature mais qu’ils en dépendent.
Cáceres connaissait l’importance de la protection de l’environnement et de ceux qui luttent pour le défendre. Quatre de ses collègues qui s’opposaient au projet de barrage avaient été tués avant elle et personne n’avait été inculpé pour ces crimes. En acceptant le prix pour l’environnement qui lui a été remis en 2015 pour l’ensemble de son œuvre, elle décrivit ce qu’elle et ses collègues enduraient au quotidien : « Ils me suivent. Ils menacent de me tuer, de me kidnapper. Ils menacent ma famille. C’est ce à quoi nous devons faire face. »
Flickr/Comisión Interamericana de Derechos Humanos (CC BY 2.0-Some Rights Reserved)
Le droit à un environnement sain réunit tout ce que l’humanité a appris sur l’interdépendance entre les droits humains et l’environnement. Il englobe les dimensions environnementales des droits à la vie, à la santé, à l’alimentation, à l’eau, à l’assainissement, à la propriété, à la vie privée, à la culture et à la non-discrimination. Cela donnera aux militants attaqués car ils défendent leur environnement et leurs terres, les outils et l’influence politique dont ils ont besoin pour défendre leurs droits.
Alors que notre génération est confrontée à une grave crise sociale et environnementale, le potentiel de responsabilisation et développement que présente le droit à un environnement sain ne peut être minimisé. Sa reconnaissance mondiale s’est trop longtemps fait attendre.
***Cet article a été écrit en collaboration avec le World Policy Journal.