L'année prochaine marquera le 30e anniversaire de la Conférence mondiale de 1993 sur les droits de l'homme. La conférence a marqué une étape importante dans l'impulsion d'une dynamique « d’institutionnalisation nationale » dans le domaine des droits de l'homme, visant à améliorer la mise en œuvre des droits par la promotion d'innovations institutionnelles au niveau national. Sa déclaration finale a notamment entériné la création d'institutions nationales des droits de l'homme et proposé un nouveau concept de « plans d'action nationaux en matière de droits de l'homme » (PANDH).
Alors que les institutions nationales des droits de l'homme se sont largement propagées à travers le monde dans les années 1990 et font l'objet d'un large éventail d’outils pratiques, de dispositions légales et d'enquêtes universitaires, les PANDH ont connu un sort différent. En 2003, seuls vingt pays avaient adopté un plan. À la suite d'expériences pilotes frustrantes, le Haut-Commissariat aux Droits de l’Homme des Nations unies (HCDH) et le PNUD dé-prioriser leur promotion active des PANDH en 2002 et, à l'exception d'un manuel sur les PANDH que le HCDH a publié cette année-là, n'ont plus investi dans la production de nouvelles directives.
Depuis lors, les comptes rendus existants sur la diffusion des PANDH sont soit obsolètes, soit partiels, ce qui donne l’impression que les PANDH constituent un phénomène marginal. Une nouvelle étude publiée par l'Institut danois des droits de l'homme corrige cette idée fausse. Fondée sur un effort de collecte de données exhaustif, elle révèle qu'au moins 141 plans de ce type ont été adoptés dans 76 pays depuis 1993. En tant que tel, l'engagement de l'État avec les PANDH est en réalité bien plus important que ce que les données suggéraient jusqu'à présent.
Recours croissant aux PANDH par les États
Le nouvel inventaire des PANDH confirme que le nombre de PANDH adoptés était en effet limité jusqu'en 2012, créant un récit durable sur l'utilisation restreinte des PANDH. Cependant, deux sauts qualitatifs se sont produits dans l'évolution de la pratique des États, représentés dans le graphique ci-dessous.
Nombre de PANDH adoptés chaque année depuis 1993
Source: S. Lorion, National Human Rights Action Plans: An Inventory (Part 1: Norm Diffusion and State Practice), DIHR 2022, page 30.
La première évolution marquante a eu lieu en 2002, lorsque certains pays ont commencé à adopter des plans successifs. Aujourd'hui, le recours aux PANDH semble institutionnalisé dans un nombre croissant de pays. Par exemple, l'Arménie, la Bolivie, la Chine, la Finlande, la Géorgie, l'Allemagne, l'Indonésie, le Mexique, la Moldavie, le Népal, le Pérou, la République de Corée et la Thaïlande semblent tous avoir généralisé l'adoption de PANDH successifs.
Fondée sur un effort de collecte de données exhaustif, elle révèle qu'au moins 141 plans de ce type ont été adoptés dans 76 pays depuis 1993.
L'année 2012 a constitué le deuxième point de rupture, à partir duquel le rythme d'adoption de PANDH s'est fortement accéléré, tant si l’on considère le nombre de nouveaux pays se joignant à la liste et adoptant leur premier plan, que si l’on considère le nombre de pays adoptant des plans successifs. Plus de la moitié de tous les PANDH adoptés depuis 1993 l’ont été au cours de la dernière décennie. Cet engouement semble se confirmer : au moins treize pays ont annoncé l'adoption imminente d'un PANDH, dont huit pays pour lesquels ce serait leur premier plan.
Paradoxe apparent en terme de diffusion normative
Cette évolution met en avant un paradoxe. Les États n'ont adopté des PANDH que de manière limitée lorsque le modèle était activement promu par les organisations internationales et soutenu par des directives et une législation non contraignante. En revanche, la majorité de ces plans ont été développés dans une période où l'outil n'était pas considéré comme prioritaire par ces acteurs. Sur le plan géographique également, les données montrent qu'il n'y a pas eu d'engagement plus élevé là où les organisations régionales, telles que le Conseil de l'Europe, ont plaidé pour que leurs États membres adoptent des PANDH. Les données montrent que les PANDH sont adoptés de manière relativement égale dans de nombreuses régions du monde, quel que soit leur niveau de développement.
Une hypothèse forte pour expliquer la montée en flèche de l'engagement avec les PANDH après 2012 est liée à un nouveau type de contrôle international par les pairs, à savoir l'Examen Périodique Universel qui a débuté en 2008. Depuis le tout premier cycle de l'EPU, de nombreux délégués ont recommandé que les États examinés adoptent des politiques générales en matière de droits de l'homme. Les pays dotés de PANDH ont systématiquement recommandé aux autres États d'émuler cette pratique. L'EPU a offert aux États une plate-forme pour exprimer leur soutien, et les États ont sans doute remarqué les gains relativement faciles en termes d’image et de réputation, qui résultent de l'adoption des PANDH lors du passage devant l'EPU.
Résurgence d’un plaidoyer international pour l’adoption des PANDH, mais est-ce la même méthodologie ?
Il n'est donc pas surprenant que des références et des recommandations par le HCDH en faveur de l’adoption des PANDH aient ré-apparues, après quinze ans de silence normatif sur les PANDH, en relation avec l'Examen Périodique Universel. Depuis 2017, les Hauts-Commissaires aux droits de l'homme ont systématiquement recommandé, dans leurs lettres de suivi aux États examinés, l'élaboration ou la meilleure mise en œuvre des PANDH.
Cependant, les concepts et méthodologies utilisés pour les PANDH semblent avoir évolué. L'examen de l'inventaire montre en effet que plusieurs plans récents sont en fait des plans de mise en œuvre de recommandations appelés PANDH. En effet, au cours des dernières décennies, les acteurs internationaux ont promu des types alternatifs de méthodologies de planification. Ces alternatives incluent une préférence pour les plans thématiques spécifiques aux sous-domaines des droits de l'homme, les « plans de mise en œuvre des recommandations » fondés sur les recommandations internationales plutôt que les PANDH fondés sur de longs processus de consultations nationales, ou l'intégration des droits de l'homme dans les plans de développement nationaux globaux.
Ces différentes approches sont fondées sur des impératifs méthodologiques qui peuvent s'avérer difficiles à concilier. Par exemple, le Secrétaire général de l'ONU a expliqué en détail en quoi les PANDH et les plans de mise en œuvre des recommandations sont « fondamentalement différents ». Étant donné que les directives méthodologiques des Nations unies sur les PANDH n'ont pas été mises à jour depuis le manuel du HCDH de 2002, les ambiguïtés conceptuelles vont grandissantes. Ce défaut d’articulation entre les différentes approches méthodologiques laissent les États dubitatifs quant à la nature des PANDH et à la manière dont ils devraient être élaborés et peuvent exacerber la grande hétérogénéité qui caractérise déjà les PANDH en pratique, en raison des variations locales résultant des spécificités des systèmes de gouvernance, des préférences politiques, des contextes ou des conclusions des consultations nationales.
Pour un agenda de recherche robuste
Jusqu'à présent, presque tous les universitaires et praticiens ont pris comme référence les données obsolètes du HCDH sur les PANDH. Cela a également conduit les entrepreneurs de normes qui promeuvent d'autres types de planification des droits de l'homme à fonder leurs arguments sur des hypothèses incorrectes concernant la diffusion des PANDH et à ignorer le potentiel du vaste ensemble des PANDH passés et actuels pour générer des leçons quant à l'utilité réelle des outils de planifications pour la mise en œuvre des droits de l'homme, et la meilleur compréhension des conditions nécessaires pour le recours à la planification soit utile.
À l'exception de trois agenda de recherche récents, respectivement d'Azadeh Chalabi, du Centre d'étude des droits de l'homme de l'Université de Nankai et du Conseil latino-américain des sciences sociales, les PANDH restent largement sous-étudiés. Les PANDH nécessitent une attention critique plus robuste. En particulier, la recherche empirique serait cruciale pour comprendre l'impact des PANDH sur la réalité des droits de l'homme.
Les PANDH ont le potentiel d'améliorer la mise en œuvre des droits de l'homme mais sont aussi fréquemment instrumentalisés à d'autres fins. Ils peuvent, par exemple, détourner l'attention par rapport à d’autres stratégies nationales et internationales visant à engager la responsabilité de l’État en cas d’inaction, ou occuper l’espace et ré-orienter le travail de la société civile vers des processus bureaucratiques dirigés par l'État. Étant donné que les PANDH ont récemment été relancés par l'ONU en tant qu'« élément essentiel » des systèmes nationaux des droits de l'homme et que de plus en plus d'États élaborent des plans, un sursaut de recherche à leur sujet ne serait pas seulement opportun : c’est une intervention urgente et nécessaire.