En 2010, Sierra Leone Agriculture (SLA) Ltd., une entreprise britannique, a signé un accord de bail avec la chefferie de Bureh, Kasseh et Maconteh, dans le district de Port Loko au Sierra Leone, pour 41 582 hectares de terres englobant les rivières, les habitations, et les routes qui s’y trouvent. L’entreprise s’engagea notamment à créer 8 000 emplois, à construire des écoles, des routes et des centres de santé, et à dispenser une formation aux plus de 40 communautés qui composent la chefferie. Puis, en 2011, le groupe SIVA, une société indienne basée à Singapour, a acheté la concession de SLA pour 5 millions de dollars américains afin d’établir une plantation de palmiers à huile.
Comme cela est bien trop souvent le cas, l’entreprise ne paya pas son loyer et refusa de tenir ses promesses, impactant la vie et les moyens de subsistance de plus de 3 000 propriétaires et exploitants fonciers. Mais, cette fois, l’histoire ne connut pas l’épilogue habituel. Les personnes affectées travaillèrent avec des assistants juridiques communautaires de Namati qui les aidèrent à comprendre le droit et à revendiquer leurs droits. Les communautés regagnèrent ainsi leurs terres et obtinrent des indemnités de dommage d’un montant total avoisinant les 250 000 dollars américains.
Les choses se compliquèrent lorsque le Chef suprême, le député local, et le vice-président de la Chambre des représentants, qui détenaient des actions dans l’entreprise, négocièrent directement les conditions du bail avec les représentants de l’entreprise. Cet accord de bail ne fut pas communiqué aux propriétaires fonciers.
Ce qui se passa ensuite fut différent de ce que les communautés avaient envisagé.
Les assistants juridiques visent à autonomiser les personnes touchées afin de résoudre elles-mêmes ces problèmes.
Une fois la concession reprise, le groupe SIVA défricha 7 114 hectares, une zone équivalente à environ 17 000 terrains de football, afin de mener à bien ses activités. SIVA a ainsi détruit les précieux palmiers sauvages, les anacardiers et d’autres cultures précieuses pour les communautés et ne versa aucune indemnisation. L’entreprise ne fit aucun effort pour mettre en œuvre les projets de développement sur lesquels elle s’était engagée et prit du retard dans le paiement de ses loyers. Les communautés essayèrent, à de nombreuses reprises, de trouver une solution à l’amiable, mais l’entreprise refusa de les rencontrer. Elles firent ensuite part de leurs préoccupations à leur Chef suprême, au parlementaire, et au conseil de district, mais aucune action ne fut entreprise.
L’approche de la démarginalisation par le droit, adoptée par Namati, fait appel à des assistants juridiques communautaires qui sont formés aux fondamentaux du droit ainsi qu’à la médiation, à la coordination, et aux activités de plaidoyer, mais aucun service juridique n’est prodigué. Les assistants juridiques visent plutôt, via des partenariats avec les communautés locales, à autonomiser les personnes touchées en leur transmettant les connaissances juridiques et les compétences nécessaires afin de résoudre elles-mêmes ces problèmes.
Dans le cas présent, les assistants juridiques et les représentants des communautés menèrent les recherches nécessaires pour identifier les lois, les politiques et les dispositions que l’entreprise avait violées. Les communautés établirent une liste d’exigences et, avec le soutien des assistants juridiques, rédigèrent une lettre enjoignant l’entreprise à les rencontrer pour discuter des violations du droit et de la renégociation du bail.
Au lieu de négocier, l’entreprise, avec l’aide des dirigeants politiques, fit pression sur les propriétaires fonciers pour accepter le nouveau bail. Les propriétaires fonciers, armés de leurs nouvelles connaissances en droit, rejetèrent le bail dont les conditions n’étaient pas équitables. L’entreprise paya les loyers en retard pour 2016 mais en resta là et ignora toutes les tentatives de dialogue des communautés et des assistants juridiques. Bien que le fait d’aller devant les tribunaux soit une solution de dernier recourt pour Namati, la nécessité de faire appel à la justice devint une évidence. Nous engageâmes une procédure en juin 2018.
Les communautés récupérèrent leurs terres mais ne virent jamais l’argent qui leur avait été accordé.
Le tribunal statua en faveur des communautés, ordonnant à l’entreprise de rendre les terres et de payer aux communautés l’équivalent de presque 250 000 dollars américains. Malheureusement, au moment du verdict, l’entreprise avait fermé ses portes et le personnel avait quitté le pays. Les communautés récupérèrent leurs terres mais ne virent jamais l’argent qui leur avait été accordé.
À bien des égards, cette affaire fut un succès. Les représentants des communautés ont acquis une meilleure compréhension du droit et de la façon de l’utiliser, les communautés ont récupéré leurs terres et sont mieux à même de traiter avec les investisseurs à l’avenir, et la décision judiciaire a envoyé un message fort aux entreprises, les incitant à se conformer aux lois du pays et à respecter les accords négociés. Mais cela ne s’est pas fait sans difficultés. Le plus problématique étant le déséquilibre des pouvoirs entre les élites politiques et les communautés.
Dans une société, comme celle du Sierra Leone, où la politique est présente dans tous les aspects de notre vie, les citoyens comptent sur les politiciens pour réparer ce qui ne va pas. Certains parlementaires promirent d’aider les communautés mais sans donner suite. Cependant, les assistants juridiques ont pu se rendre compte de l’ampleur du pouvoir décisionnaire des propriétaires fonciers. Lorsqu’ils disposent des informations et des outils leur permettant d’agir, ils se révèlent être des alliés fiables et efficaces.
Le succès de cette affaire repose sur le fait que les propriétaires fonciers et les communautés ont mené une action collective. Les dynamiques de pouvoir ont menacé cette unité. Les élites politiques qui avaient un intérêt personnel à ce que l’activité de l’entreprise se maintienne ont continuellement intimidé les propriétaires fonciers pour les amener à signer un bail inéquitable. Créer un rapport de confiance et de solidarité entre les représentants des communautés, les autres personnes affectées, et les assistants juridiques a été essentiel.
Comme le montre cette affaire, les approches de démarginalisation par le droit comportent leur lot de difficultés mais elles sont essentielles pour donner aux communautés les connaissances et les outils nécessaires afin de lutter contre l’exploitation résultant des investissements fonciers.