Principes des droits humains, traités et santé mentale de personnes migrantes : une étude de cas de la Grèce

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En septembre 2020, la Commission européenne a présenté son très attendu nouveau Pacte sur la migration et l'asile. Si beaucoup espéraient que cet instrument change la donne pour les politiques d'asile, et puisse en particulier soulager les pays d'arrivée, celui-ci a finalement suscité des réactions mitigées. Le pacte laisse une certaine marge de manœuvre aux États membres pour se “partager le fardeau” des migrants arrivant en période de crise, mais il risque également d'aggraver les situations d’attente prolongées. Malheureusement, il semble aussi confirmer que pour les personnes qui espèrent trouver refuge en Europe, il est peu probable que le climat de l'UE devienne plus accueillant de sitôt.

En 2015, des centaines de milliers de migrants accostaient sur les côtes grecques, alors que le pays subissait une grave crise budgétaire et l’effet de plans d'austérité d’ampleur. Le défi d'accueillir ces personnes protégées par le droit international était de taille, et de nombreux rapports publiés depuis ont sévèrement critiqué les conditions d'accueil et les centres d'identification du pays, évoquant une "crise de santé mentale” dans les camps de réfugiés. C'est dans ce contexte que nous avons mené des missions d'enquête en Grèce durant l'été 2019. Dans les mois suivants, le nouveau gouvernement grec a durci sa politique migratoire, par le biais notamment d’une nouvelle loi visant à accélérer le traitement des demandes d'asile et à augmenter le rythme des renvois aux frontières.

Contraints de quitter leur foyer, les migrants peuvent être soumis à des expériences traumatisantes dans leur pays d’origine ou pendant leur exil, ils peuvent avoir des problèmes de santé mentale antérieurs ou développer des difficultés à leur arrivée. Mais des conditions d'accueil hostiles peuvent également avoir un impact sur la santé mentale des migrants. "À Samos, il y a actuellement 5000 personnes qui vivent dans un camp qui a été construit pour en accueillir 600 - la rétention sur l’île elle-même crée des problèmes psychologiques", nous relate un jeune demandeur d'asile à Thessalonique. "Je n'ai jamais pu rencontrer la psychologue parce qu'elle devait s'occuper de tellement de personnes".

Des méthodes d’évaluation de la vulnérabilité obscures, des services de santé mentale peu accessibles et inadaptés

Dans le but de hiérarchiser les besoins, le gouvernement grec a introduit un “système d'évaluation de la vulnérabilité”, en application de la directive européenne établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale (refonte). Les femmes enceintes et les demandeurs d'asile souffrant d'un handicap ou de "troubles mentaux" sont transférés sur le continent dans l'attente du traitement de leur demande d'asile. En pratique, les services de l'Organisation nationale de santé publique qui procèdent à ces évaluations manquent cruellement de personnel et doivent faire face à un nombre écrasant de demandes. En 2019, l'hôpital public de l'île de Lesbos comptait seulement deux psychiatres qualifiés pour établir un diagnostic susceptible d'étayer une demande de transfert. Avec le nouveau pacte, les évaluations de la santé et de la vulnérabilité seraient essentiellement réalisées au cours du processus de contrôle préalable à l’arrivée, qui s’appliquerait à tous les ressortissants de pays tiers se présentant à la frontière extérieure de l’UE sans remplir les conditions d'entrée ou à la suite d'une opération de recherche et de sauvetage en mer.

Mais déterminer qui est en situation de détresse mentale est pour le moins flou au regard des conditions d'accueil sur les îles. En novembre 2018, le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l'Europe exprimait de sérieuses préoccupations quant aux procédures d'évaluation de la vulnérabilité, tandis qu'en septembre 2019, le Comité des droits des personnes handicapées de l'ONU exigeait de garantir le transfert immédiat des demandeurs d'asile vers le continent une fois identifiés comme vulnérables.

En outre, le fait de recevoir le statut de personne vulnérable et d'être envoyé sur le continent n'améliore pas nécessairement la situation des demandeurs d'asile souffrant de problèmes de santé mentale. Pour faciliter l'attribution d'un logement aux demandeurs d'asile vulnérables, le HCR et le gouvernement grec ont mis en place un programme d’hébergement qui exclut de nombreuses personnes souffrant de troubles mentaux graves. Dans la pratique, les personnes soupçonnées d'avoir des problèmes "sévères", comme celles qui ont été diagnostiquées schizophrènes ou qui ont exprimé des pensées suicidaires, voient leurs attributions refusées, sans solution de logement alternative appropriée. Ces obstacles discriminatoires obligent les personnes souffrant de graves troubles mentaux à vivre sans abri, dans des campements informels ou dans des camps de réfugiés isolés des grandes villes, où l'accès à des services de santé mentale est rare.

Les ONG ont mis en place un large éventail de programmes pour répondre à la crise de santé mentale chez les migrants. Mais à l'exception d'une poignée d'établissements spécialisés, nombreuses sont les initiatives qui peinent à fournir une assistance de long terme ou à mettre en relation les migrants avec des psychologues ou des psychiatres. En outre, qu'ils soient publics ou dirigés par des ONG, tous les professionnels de la santé mentale interrogés font état d'un manque important de personnel et doivent généralement sélectionner les migrants qui seront en mesure d'accéder aux services.

Bien que les demandeurs d'asile aient droit d’accéder aux services publics de santé, les multiples obstacles administratifs pour accéder à une carte de sécurité sociale conduisent de facto à leur exclusion de ces établissements. Et le projet de loi sur la protection internationale de 2019 a introduit un "numéro [de sécurité sociale] temporaire pour l'assurance et les soins de santé pour les ressortissants de pays tiers", ce qui a facilité la désactivation de la carte en cas de rejet d'une demande d'asile. Pour ceux qui accèdent malgré tout aux services publics de santé mentale, les migrants font état d'attitudes négatives du personnel médical et d’un usage de mesures coercitives dans les hôpitaux psychiatriques. Un autre problème flagrant reste le manque général d'interprètes ayant des compétences en matière de santé mentale, ce qui entraîne des délais d'attente plus longs pour accéder aux soins et un sentiment d’exclusion des demandeurs d'asile qui cherchent à se faire soigner.

Plaider pour des réformes fondées sur les droits dans le domaine de la santé mentale

Dans plusieurs domaines abordés dans notre étude de cas, la Grèce est tenue de respecter les droits humains dans sa politique de santé mentale, des obligations que les praticiens et les personnes concernées pourraient utiliser pour plaider en faveur d'un changement de cap. Le Comité des droits économiques, sociaux et culturels des Nations unies a reconnu que le droit à la santé "englobe une grande diversité de facteurs socioéconomiques de nature à promouvoir des conditions dans lesquelles les êtres humains peuvent mener une vie saine et s'étend aux facteurs fondamentaux déterminants de la santé", ce qui inclut le logement ainsi que des conditions de travail sûres et un environnement sain. En ce sens, l'incapacité de la Grèce à fournir des services de santé mentale adéquats aux migrants et les conditions d'accueil générales contredisent ces obligations.

En outre, un rapport de 2019 du Comité anti-torture du Conseil de l'Europe s'est alarmé du "surpeuplement structurel" de plusieurs établissements psychiatriques. Il a observé un "manque critique de personnel et un recours excessif à la pharmacothérapie", "la pratique répandue consistant à utiliser des moyens de contention mécanique de manière excessive et/ou inappropriée" et des garanties insuffisantes entourant les procédures de placement involontaire. Il souligne que certaines pratiques employées par un hôpital psychiatrique pénitentiaire visité “pourrai[ent] facilement être considérée[s] comme inhumaine[s] et dégradante[s]."

Si le plaidoyer en faveur du renforcement de l’accès et de l’intégration des migrants dans le système public de santé mentale est nécessaire à long terme, il doit être envisagé avec prudence, car il comporte le risque de graves violations des droits humains et d'effets négatifs sur le bien-être des migrants. La pression budgétaire permanente qui affecte le système de santé mentale doit évidemment être reconnue. Mais les défenseurs des droits humains peuvent rappeler le principe de réalisation progressive, qui établit qu'un État partie à une convention doit prendre des mesures au maximum de ses ressources disponibles, en vue de parvenir progressivement à la pleine réalisation des droits des individus.

Les principes des droits humains peuvent aiguiller les acteurs humanitaires et les praticiens de la santé mentale dans la mise en œuvre de leurs programmes, en particulier le droit de participer et de contrôler sa propre santé. Néanmoins, le fait de garantir la disponibilité et l'accessibilité de services de santé mentale de qualité reste au premier chef une responsabilité de l'État. À cet égard, les organisations humanitaires travaillant en première ligne des situations d'urgence peuvent se trouver dans une position tactique pour déployer un plaidoyer fondé sur les droits. Le programme Open Minds de Médecins du Monde en est un exemple intéressant : son rapport de 2018 dénonce l'impact de l'austérité sur le blocage de la réforme de la santé mentale, le sous-financement chronique des établissements, tout en documentant une augmentation de la demande de services de santé mentale.

 


La santé mentale compte autant que la santé physique. À la suite de cet article, nous avons décidé de dresser une liste des services de soutien en matière de santé mentale en Grèce que vous pouvez joindre en cas de besoin: