Comment les citoyens et la société civile peuvent-ils s’assurer que le gouvernement soit tenu de leur rendre des comptes ? La transparence budgétaire (rendant les recettes publiques, dépenses et autres informations budgétaires disponibles et accessibles) a reçu beaucoup d’attention au cours des dernières années en tant que réponse possible à cette question. Les activistes, les donateurs et les nouvelles initiatives mondiales comme le Open Government Partnership, (l’alliance pour la transparence gouvernementale), affirment tous que la promesse de budgets transparents est une manière de donner les moyens aux individus et aux groupes de protéger les droits fondamentaux et de demander des comptes à leur gouvernement.
La promesse des politiques de transparence, comme en matière de budget, est de permettre aux citoyens et à la société civile de mieux adresser leurs requêtes aux gouvernements. Comme le remarque Helena Hofbauer, elle peut être un outil essentiel lorsque les droits socio-économiques ne sont pas respectés ou quand les dépenses effectives des gouvernements ne correspondent pas à leurs engagements.
Le fait que la divulgation de l’information puisse à elle seule amener des changements de politique, est cependant sujet au débat. Certains chercheurs soulignent les défis auxquels sont confrontés les citoyens dans l’accès et l’interprétation de l’information de manière utile. Les mouvements en faveur de la transparence budgétaire tentent de surmonter ces défis en s’appuyant sur la société civile et sur d’autres intermédiaires afin d’analyser et interpréter les données gouvernementales et de les présenter aux citoyens d’une manière qui soit pertinente et facilement compréhensible. Aux États-Unis, par exemple, des groupes tels que la fondation Sunlight Foundation jouent ce rôle.
Cependant, il y a une autre question plus fondamentale que les défenseurs de la transparence budgétaire doivent affronter : pourquoi les politiciens choisissent-ils en premier lieu de soutenir la transparence ? Aucun politicien, en particulier dans un système politique corrompu, ne souhaite inciter à mieux contrôler la manière dont il utilise ou gaspille les ressources publiques. Un tel contrôle fait peser un risque de scandale, limite son habilité à utiliser des fonds pour passer des accords et récompenser des alliés, et peut servir à alimenter les critiques de ses opposants. Les pressions extérieures, comme celles des donateurs et des créanciers internationaux, peuvent donner un sérieux « coup de pouce » mais il est généralement bien trop facile pour les politiciens de ne promulguer que des réformes « de façade » qui satisfont les exigences extérieures tout en ne changeant pas grand chose.
Dans une étude publiée plus tôt cette année, j’ai cherché à répondre à cette question en me penchant plus particulièrement sur un type apparenté de politique de transparence. Des lois sur la liberté de l’information, également souvent appelées accès à l’information ou lois sur le droit à l’information, ont étés adoptées par cent pays dans le monde (le plus récent étant le Paraguay le mois dernier). Ces lois permettent aux individus de demander tout type de document ou d’information à leur gouvernement, notamment les budgets, qui ne tombent pas spécifiquement dans la catégorie d’exemption comme la sécurité nationale ou la vie privée.
Cependant, de nombreux gouvernements ont retardé et résisté à l’adoption de lois sur la liberté de l’information, même à ce jour. Des campagnes concertées de la société civile pour faire passer ces lois, soutenues par des alliés et donateurs étrangers, se sont soldées par des échecs répétés pendant des années, voire même des décennies, dans des pays allant du Royaume Uni et de l’Espagne au Brésil et au Nigéria. De nombreux pays, comme Chypre, le Ghana, le Kenya, les Philippines et la Zambie, continuent de faire trainer les choses malgré des promesses répétées qu’une loi est imminente. Pourquoi cette différence dans l’adoption de la transparence ?
J Gerard Seguia/Demotix (All rights reserved)
Freedom of Information advocates march to push FOI bill in Manila, Philippines.
Je me suis rendu compte que la probabilité que ces lois soient adoptées était plus forte quand les politiciens au pouvoir faisaient face à un niveau élevé d’incertitude pour le maintien à leur poste. C’était dans ces conditions, comme lorsqu’un puissant parti d’opposition avait une bonne chance de gagner les élections à venir, que les politiciens au pouvoir se sentaient le plus obligés de montrer leur engagement en matière de bonne gouvernance. De plus, c’était dans ces circonstances que la transparence serait la plus utile aux groupes au pouvoir eux-mêmes au cas où ils perdraient ce pouvoir, comme une manière de faire en sorte que ceux qui prennent leur place aient à rendre des comptes.
La transparence est peut-être très prometteuse mais seulement là où elle peut être sincèrement mise en place par les politiciens eux-mêmes.
Dans une nouvelle étude rédigée en commun avec Aaron Erlich, nous avons trouvé la même dynamique en place dans les états mexicains. Alors que Mexico a adopté une loi fédérale sur la liberté de l’information en 2002, celle-ci ne s’appliquait pas à ses trente et un états ou au district fédéral, exigeant au contraire qu’ils adoptent leurs propres lois. Certains le firent tout de suite, alors que d’autres attendirent parfois jusqu’à cinq ans, un temps durant lequel leurs citoyens n’avaient pas la possibilité de bénéficier des mêmes niveaux d’accès à l’information que ceux vivant dans d’autres parties du pays. L’étude du calendrier des décisions prises par les politiciens dans les états, nous a révélé que tant pour les états gouvernés par le parti national au pouvoir que pour les états gouvernés par les partis d’opposition, il y avait des exemples d’adoption rapide aussi bien que de délais. Au contraire, le facteur commun expliquant le mieux le calendrier de l’adoption était le niveau de rivalité lors des élections au sein des états, et donc la mesure dans laquelle ceux au pouvoir faisaient face à l’incertitude de rester au pouvoir. Non seulement les états avec un parti dominant bien établi étaient plus susceptibles de retarder l’adoption, mais une fois ces lois finalement adoptées, celles-ci avaient tendance à être bien plus faibles dans leur conception institutionnelle que les lois des états où la rivalité était la plus forte.
Ces conclusions ont des implications claires dans le domaine de la transparence des budgets : les politiciens sont susceptibles de résister à la transparence à moins qu’ils n’aient une incitation politique directe à agir différemment. Ceci est également confirmé par une autre recherche récente sur la transparence budgétaire. Joachim Wehner et Paolo de Renzio analysent par exemple les performances des pays dans l’Indice sur le budget ouvert (Open Budget Index). Ils concluent que les pays dotés d’élections libres et justes ont tendance à obtenir des scores plus élevés et que parmi les démocraties, celles qui connaissent une rivalité partisane plus forte obtiennent un score encore meilleur. Les analyses statistiques et les études de cas dans un livre publié récemment montrent que plusieurs facteurs façonnent la transparence fiscale, y compris les transitions politiques, la rivalité politique, les crises économiques, les scandales liés à la corruption et les demandes externes.
Des recherches additionnelles sont nécessaires mais les conclusions de ces études devraient sonner comme une mise en garde pour les défenseurs de la transparence budgétaire. La transparence est peut-être très prometteuse mais seulement là où elle peut être sincèrement mise en place par les politiciens eux-mêmes. Et ceci ne peut être possible que là où la transparence peut être d’une façon ou d’une autre dans le propre intérêt politique des politiciens. La plupart du temps, ceci exclut précisément les endroits où la promesse de transparence est la plus fortement nécessaire.